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veut, le fanatisme scientifique pour oser concevoir la pensée de réunir tant de documens en quelques années, avec l’aide seulement de deux ou trois hommes dépourvus d’expérience ou d’instruction préalable[1], et sans dépasser pour des acquisitions si multipliées les limites relativement étroites d’un revenu annuel invariable[2].

Gaignières eut à la fois cette audace dans la volonté et cette modération dans la pratique. Plusieurs milliers de tableaux, de miniatures et de manuscrits originaux, une innombrable quantité de dessins faits sur ses indications d’après les tombeaux, les tapisseries, les vitraux conservés dans les églises ou dans les abbayes, dans les palais ou dans les châteaux, en un mot tous les élémens d’un véritable musée historique depuis les premiers siècles du moyen âge, — Voilà ce qu’il sut recueillir et classer avec un zèle et un savoir dont ceux-là mêmes qui en profitent aujourd’hui ont le tort parfois de paraître se souvenir un peu moins que de certaines négligences ou de certaines inexactitudes matérielles fort excusables après tout. On a beau jeu peut-être pour critiquer l’imperfection des moyens de reproduction employés par Gaignières et le chétif talent des copistes à ses gages ; mais assurément on a mauvaise grâce à constater ainsi les erreurs commises de préférence aux services rendus, comme tels d’entre nous, en prenant trop bruyamment Vasari en faute sur quelques points de détail, courent le risque d’être accusés d’ingratitude envers l’écrivain à qui ils doivent presque uniquement ce qu’ils savent de l’histoire générale de l’art italien. Un homme qui certes en matière d’érudition avait plus que personne le droit de se montrer difficile, le docte Montfaucon, appréciait tout autrement la valeur des enseignemens fournis par Gaignières, et n’hésitait pas à reconnaître le profit que lui-même en avait tiré. « Le devoir et la reconnaissance, dit-il dans la préface de son grand ouvrage sur les Monumens de la monarchie française, m’obligent de faire mention de ceux qui m’ont prêté les secours nécessaires pour cet ouvrage. Le public sera peut-être bien aise de savoir à qui il en est redevable. Les recueils de M. de Gaignières sont les premiers en date ; sans cette avance, je n’aurais

  1. Celui à qui revenait la tache de relever les inscriptions tumulaires, de copier tout au long les manuscrits ou, le cas échéant, d’en extraire les passades les plus significatifs, était le propre valet de chambre de Gaignières, un nommé Rémy, qui recevait de son maître pour cette besogne 2U0 livres par an.
  2. Le plus clair de ce revenu consistait, à ce qu’il semble, dans les pensions allouées à Gaignières en mémoire des offices dont il avait été revêtu. Nous ignorons le chiffre de celle que lui procurait son double titre d’ancien gouverneur de Joinville et d’instituteur des enfans de France. Ce que nous savons seulement, c’est que, par une de ses dispositions testamentaires, Mlle de Guise avait légué à son ancien écuyer une pension viagère de 1,200 livres, « outre et par-dessus ses carrosses et un attelage. »