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drapée au-dessous des reins. » Ses cheveux, retroussés par derrière et retenus par un bandeau, lui parurent encadrer « une figure fort belle et qui eût été bien conservée, si le bout, du nez n’avait été légèrement entamé. » Le seul pied qui restât était nu. Les oreilles percées avaient dû porter des pendans. De retour à Constantinople, Dumont d’Urville entretint avec enthousiasme l’ambassadeur de sa découverte. Le premier secrétaire d’ambassade, M. de Marcellus, fut dépêché immédiatement sur les lieux ; mais déjà le paysan, las d’une trop longue attente, avait vendu pour 150 francs environ, sa statue à un prêtre grec qui se proposait d’en faire hommage au drogman du capitan-pacha. En Turquie, heureusement chose conclue n’est pas toujours chose faite. M. de Marcellus arriva au moment où les débris allaient être embarqués pour Constantinople. Il protesta, demanda des juges, et, prêt à livrer bataille, s’il le fallait, pour défendre son trésor, finit par l’emporter, grâce à la connivence des primats. Quand la flotte ottomane vint faire sa tournée dans les îles et que le drogman fut informé de ce qui s’était passé, il s’en montra vivement irrité. Les primats convoqués reçurent la bastonnade ; mais la Vénus de Milo nous était restée, et M. de Marcellus l’avait dirigée sur Paris.

Ainsi sortaient peu à peu de l’oubli les souvenirs d’un passé dont rien encore n’avait égalé les merveilles. Les voyageurs qui, de tous les coins de l’Europe rendue aux travaux de la paix, accouraient contempler ces précieuses reliques s’imprégnaient presque à leur insu d’une secrète sympathie pour le peuple dont les ancêtres avaient produit de tels chefs-d’œuvre. Les réminiscences classiques, l’enthousiasme des antiquaires, ont beaucoup contribué à l’appui que la révolution grecque a reçu de l’extérieur. Cet appui s’est manifesté avec énergie au moment où l’insurrection allait succomber, mais ce n’est pas l’Europe qui la première a aidé la Grèce à soulever la pierre de son tombeau ; c’est, je ne crains pas de le répéter, un Turc rebelle à son maître, le farouche et sanguinaire gouverneur de l’Épire.

Avec toute sa cautèle et toute son habileté, Ali de Tébélen n’était qu’un sauvage. Son étroit génie n’embrassait qu’un horizon borné. Plus infatué de l’orgueil de sa race qu’attaché aux préceptes de sa religion, véritable type du guerrier albanais, il n’eût jamais pu atteindre à la taille du pacha d’Égypte. Il était du pays qui avait vu naître Pyrrhus. Méhémet-Ali était digne d’appartenir à la contrée qui donna le jour à Alexandre. Dans ses plus grands écarts, quand il luttait pour sa vie et pour sa souveraineté, le pacha rouméliote se garda soigneusement de tout pacte dangereux avec les infidèles. Il voulait vaincre le sultan, mais sans ébranler l’islamisme. Tel est le trait marquant qui distingue sa conduite, et à ce