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elle s’obstinait à ne pas révéler la retraite de M. Brest. La constance de la pauvre femme finit par lasser la férocité des brigands. Ils s’abouchèrent avec les primats et offrirent de rendre la liberté à cette famille si digne de compassion aussitôt qu’ils auraient touché une rançon de 6,000 piastres. Secrètement averti, M. Brest parvint à rassembler la somme demandée, et les forbans consentirent à lâcher leur proie. Mme Brest fut jetée sur l’île de Milo dans un état de nudité complète. Quant au malheureux agent consulaire, traqué pendant trente-trois jours, se cachant dans les broussailles, se réfugiant la nuit dans quelque caverne, il parvint à déjouer toutes les poursuites et réussit enfin à gagner Milo. Il y avait rejoint sa femme et ses enfans ; mais Milo ne lui sembla pas un asile assez sûr. Il se fit conduire avec sa famille à Siphante. Le premier navire étranger que les vents du nord amenèrent en relâche sur les côtes de cette île lui fournit le moyen de passer à Constantinople.

Il n’eut pas plus tôt touché les rives du Bosphore, qu’il s’empressa d’aller porter sa plainte à l’ambassadeur de France, récemment débarqué lui-même ; mais quelle réparation l’ambassadeur pouvait-il espérer de la faiblesse d’un gouvernement qui assistait impassible à de pareils drames ? Le représentant du roi Louis XVIII ne demanda justice qu’à la station française. Quelques mois s’étaient à peine écoulés, justice était faite. La frégate la Galatée avait fouillé tous les coins de l’Archipel, exploré tous les canaux, expédié ses embarcations dans les moindres criques. On n’avait encore découvert aucune trace des brigands signalés à notre vindicte. On finit par apprendre que les misérables étaient revenus à Milo. Des guides sûrs conduisirent nos marins jusqu’à l’entrée de la grotte qui servait de repaire à Catramatto et à quelques-uns de ses compagnons. Surpris dans leur bauge, les pirates firent peu de résistance. On les livra au gouvernement turc, mais en lui recommandant de les mieux garder que les dix-sept prisonniers remis par M. de Mackau. La captivité de ceux-ci en effet n’avait pas été longue. Ils avaient enlevé un bateau sur la plage de Boudroun, gagné dans cet esquif les côtes de la Morée et pillé en route deux navires de commerce. Ce fut par ces bâtimens qu’on eut de leurs nouvelles.

Certes ce n’est pas du courage de pareils bandits qu’une nation opprimée peut attendre sa délivrance. Il n’était cependant que trop facile de prévoir ce qui se passerait le jour où une lutte mortelle s’engagerait avec la Turquie. Le patriotisme aux abois n’est pas toujours le maître de répudier le concours des plus tristes auxiliaires. Les écumeurs de mer devaient fatalement s’imposer aux flottes de la Grèce, comme les klephtes de la montagne à ses armées. Ils apporteraient avec eux, sur des navires qui n’étaient pas seulement redoutés du croissant, leurs instincts féroces et leurs ha-