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fut amené par la barque qui s’en était emparée au mouillage de l’Argentière. Cette île peu considérable est située à l’entrée de l’Archipel, presque en face du port de Milo. Avant la révolution, elle avait été le poste avancé où nos navires de guerre venaient prendre des pilotes, le lieu que l’ordre de Malte avait choisi pour y faire reposer ses caravanes. Les forbans consentaient à relâcher leur prise moyennant le paiement immédiat d’une rançon. Le capitaine acceptait les conditions qui lui étaient faites et se félicitait déjà d’en être quitte à ce prix. Pour se procurer la somme exigée, il s’était mis en relation avec les primats. Tout allait donc à son gré ; les bandits seraient satisfaits et l’équipage capturé serait libre ; mais il se trouva un homme pour s’indigner d’un pareil compromis et pour refuser d’y prêter les mains.

Cet homme, toute la marine du Levant l’a connu, et plus d’un officier vit encore qui pourrait témoigner de son zèle. D’origine française, il a été jusqu’à la fin de l’année 1840 vice-consul de France à Milo. M. Brest, — tel était le nom de cet énergique champion de nos droits, — appartenait à une famille qui, de père en fils, avait exercé les honorables et lucratives fonctions de pilote du roi dans les mers du Levant. Il n’eut pas plus tôt appris le grand événement qui venait de replacer l’héritier de saint Louis sur son trône qu’il se crut à son tour en droit de réclamer les prérogatives et les émolumens dont avaient joui ses ancêtres. Le pilote du roi résidait d’ordinaire à l’Argentière. Il n’était pas chargé de conduire lui-même nos navires, il devait leur fournir des pilotes grecs dont il pût répondre. Investi des immunités consulaires, c’était un personnage. Le souvenir d’une famille qui avait occupé pendant près d’un siècle un poste de cette importance ne pouvait s’être évanoui dans le court espace de vingt ans. Les habitans de l’Argentière virent donc sans grande surprise M. Brest arriver inopinément dans leur île et s’y proclamer, de son autorité privée, « agent français provisoire. » Installé depuis quelques mois à son poste, et prenant au sérieux les devoirs de sa charge, M. Brest s’opposait à un arrangement qu’il jugeait contraire à la dignité du pavillon du roi. Pour soutenir son dire, il s’était empressé de rassembler les primats et les notables. Il les avait harangués et était parvenu avec leur aide à faire prendre les armes aux habitans. Les bandits, de leur côté, n’avaient pas tardé à perdre patience ; ils débarquèrent en force sur la plage. M. Brest les repoussa, leur tua quelques hommes et leur fit dix-sept prisonniers. De retour à leur bord, les pirates, laissant le bâtiment français à la disposition des vainqueurs, se hâtèrent d’appareiller.

Ils étaient partis, mais en se promettant bien de revenir. Ils reparurent en effet le 22 juin 1815 avec trois mistiks montés par plus