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reur Alexandre, et cette ligue souveraine avait adopté pour principe le raffermissement de l’Europe sur ses anciennes bases. Tout ce qui avait existé avant la révolution étant réputé sacré, le sultan lui-même devenait à cette heure légitime ; mais c’était en vain que les rois assemblés en congrès se flattaient d’étouffer à jamais dans le monde un fatal esprit de révolte. Ce que le successeur de Pierre le Grand, dans sa loyauté politique, se refusait à faire, il se rencontra un pacha musulman pour se charger bien plus sûrement encore de l’accomplir.

De tout temps, le pouvoir de la Porte avait été purement nominal sur quelques-unes des provinces de l’empire. La rébellion devait prendre un caractère infiniment plus grave le jour où elle gagnerait des territoires voisins du siège même du gouvernement. La révolte du pacha de Widdin avait eu pour conséquence indirecte en 1804 l’insurrection générale de la Servie ; le Montenegro avait dû ses premiers progrès à la turbulence de Kara-Mahmoud, le gouverneur insubordonné de la Haute-Albanie. Les intrigues et les cruautés du pacha de Janina, dont l’autorité s’était successivement étendue sur la Thessalie, sur le Péloponèse et sur l’Épire, préparaient la grande levée de boucliers de la Grèce.

Tel était l’état des choses en Orient, telles étaient les dispositions des puissances européennes, rassurées par le calme apparent qui se manifestait partout à la surface, quand le gouvernement de la restauration, remis de ses premières secousses et n’ayant plus à surveiller sur les côtes de Provence les prétendus projets de débarquement du prince Lucien Bonaparte, sur les côtes de Corse la prise d’armes des insurgés du Fiumorbo, songea, au mois de février 1816, à trouver une frégate pour transporter l’ambassadeur du roi à Constantinople, et quelques navires de moindres dimensions pour protéger notre commerce renaissant dans le Levant.

II.

Je ne crois pas qu’il y ait jamais eu dans l’histoire de France une période plus sombre et plus mélancolique que celle qui suivit les cent-jours. Les archives mêmes de la marine ont gardé la trace du fâcheux état des esprits à cette époque. Ce qui augmentait le marasme général, ce qui pouvait expliquer jusqu’à un certain point l’irritation presque universelle, c’est que la France alors n’était pas seulement tiraillée par des passions contraires, elle était en proie à la gêne, car son crédit n’était pas fondé encore.

Les échanges maritimes avaient joué un grand rôle dans la prospérité de l’ancienne monarchie. Le premier soin de la restauration devait donc être de rendre à notre commerce extérieur son essor et