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l’étonnante trouvaille, il avait l’espoir qu’un jour on rencontrerait l’oiseau vivant au milieu des solitudes alors inconnues de la Grande-Terre ; un instant l’illusion fut partagée par tous les naturalistes. Elle s’est évanouie depuis les explorations de M. Grandidier ; il n’y a certainement plus d’æpyornis à Madagascar, et autrefois, dans un temps plus ou moins éloigné, ces énormes oiseaux erraient en grand nombre dans la région du sud-ouest de l’île. Aucun doute à cet égard n’est permis. Des morceaux de leurs œufs apparaissent continuellement au milieu des sables. Il y avait plusieurs espèces d’æpyornis, de taille inégale, habitant les mêmes lieux[1] ; le voyageur en a recueilli des restes, derniers vestiges d’animaux d’un type étrange. À l’époque où vivaient les æpyornis, les hippopotames devaient être d’une abondance extraordinaire sur la grande île africaine ; dans le petit marais d’Amboulatsintra, les os d’une cinquantaine d’individus ont été ramassés en peu d’heures. L’espèce, de dimensions notablement inférieures à celles de l’hippopotame du Nil, se distinguait encore par d’autres caractères très particuliers[2] : elle est absolument éteinte ; jamais les Européens qui ont visité Madagascar, même au XVIe et au XVIIe siècle, n’ont entendu parler de l’existence d’hippopotames en ce pays.

Ce n’est pas tout ; tandis que de nos jours les tortues assez variées qu’on observe sur la Grande-Terre sont de taille petite ou moyenne, autrefois, dans les fleuves que fréquentaient les hippopotames, se baignaient des tortues d’eau douce gigantesques, sur les sables où couraient les æpyornis se promenaient de grosses tortues terrestres, longues de 1 mètre à 1 mètre 1/2[3]. M. Grandidier pense que ces différens animaux pouvaient encore exister il y a deux ou trois siècles, comme le dronte de l’île Maurice, comme le solitaire de l’île Rodriguez ; nous croyons qu’ils ont disparu à une époque infiniment plus ancienne. De grands animaux dont l’homme est contemporain ne sont pas les seuls qui se soient éteints. Dans le sable des dunes du cap Sainte-Marie et probablement de toute la côte du sud-ouest, des coquilles de mollusques terrestres se trouvent en immense quantité. Les unes, ayant parfois conservé une coloration, appartiennent à des espèces encore vivantes, les autres à des espèces anéanties : elles sont mêlées à des débris d’œufs d’æpyornis ; cette circonstance est un indice de contemporanéité. Que

  1. Outre des membres de l’Æpyornis maximus, on a trouvé des restes de deux espèce plus petites du même genre, Æpyornis medius et Æpyornis modestus, Alphonse Milne Edwards et Grandidier.
  2. Hippopotamus Lemerlei, Grandidier.
  3. Emys gigantea et Testudo abrupta, décrites par M. Grandidier d’après les ossemens trouvés dans le marais d’Amboulatsintra.