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l’escopette et la sagaie en main, courent autour de l’assemblée en poussant des cris de sauvages et en tirant de temps à autre des coups de fusil, deux ou trois femmes dansent ou plutôt tournent sur elles-mêmes en faisant des contorsions qui passent pour des poses gracieuses. Ces divertissemens révélaient à l’observateur un des traits du caractère superstitieux des Sakalaves. Le chef du village avait été malade, son état de souffrance attribué à l’esprit malin ; les chants et les danses qu’on exécutait le soir et le matin avaient pour objet de charmer l’esprit et de le rendre inoffensif. Tout le monde se trouvant fatigué, des esclaves conduisant un troupeau de bœufs vers le convalescent, celui-ci du bout d’une baguette désigna une génisse, — l’animal, alors devenu sacré, ne doit jamais être tué par la famille, tandis qu’après une invocation à l’Être suprême un bœuf est aussitôt sacrifié. Un morceau de la viande cuite sera offert aux ancêtres sur un petit autel en roseaux, et le reste de la bête distribué entre les assistans. L’explorateur avait mieux à faire que de s’occuper longtemps des cérémonies des Malgaches ; le lendemain, il gravit les montagnes qui descendent jusqu’à la presqu’île de Tsaroundrane, et par un dernier tour d’horizon il acheva son étude hydrographique de la baie de Saint-Augustin. S’acheminant ensuite vers la vallée où coule l’Anoulahine, il traverse le bois de palétuviers qui entoure le village de Saint-Augustin, et arrive au bord du fleuve dont il se propose de tracer le cours. À l’embouchure, la vallée est large de 500 à 600 mètres : pendant les mois d’avril à décembre, le vaste lit de sable est presque à sec ; à l’époque où les pluies d’orage se succèdent dans l’intérieur de l’île, la masse d’eau devient énorme, et empêche les polypiers de s’établir comme sur les autres points du littoral.

En remontant l’Anoulahine pour atteindre le pays des Antanosses émigrés, le voyageur, voulant donner tout le temps nécessaire aux travaux de géographie et aux recherches d’histoire naturelle, fait peu de chemin chaque jour. Autant que possible, il campe la nuit sur une île, afin d’éviter les surprises. Près des rives du fleuve s’étendent de vastes champs de haricots et de maïs : c’est la principale nourriture des Sakalaves ; la pauvreté du sol et la sécheresse habituelle de la contrée ne permettent pas la culture du riz. Plus haut on voit des arbustes, quelques arbres, surtout des tamariniers ; des femmes et des enfans viennent en cueillir les gousses encore vertes. Triste régal, la pulpe peu abondante qui entoure les graines est aigre ; mais si pauvre est le pays que des peuplades entières ne vivent pendant des semaines que de cette pulpe, dont on enlève l’acidité en la mêlant à de la cendre. La montée de l’Anoulahine n’est pas effectuée sans quelques alertes. Un soir retentissent les