Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/821

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

venait saluer le voyageur ; pour marquer sa dignité, le seigneur malgache se faisait précéder de deux musiciens et suivre d’une nombreuse troupe d’esclaves. Rabéfaner est un chef de la province d’Anossi que les Ovas ont dépouillé de ses états, — un de ces chefs qui, n’ayant pas voulu se soumettre aux vainqueurs, sont venus s’établir avec leurs peuples dans les contrées désertes qu’arrose l’Anoulahine. M. Grandidier avait fait sa connaissance à l’époque de ses premières excursions dans le sud-ouest de Madagascar ; il se louait du bon accueil qu’il avait reçu du prince, et celui-ci de son côté gardait un excellent souvenir de l’étranger, qui ne s’était pas montré avare de petits présens. Aussi le seigneur malgache, ayant appris le retour de l’Européen, s’empressait-il de lui apporter un cadeau de bienvenue ; il avait mis quatre jours à faire le trajet de son village à Tulléar. Si l’amitié mène loin, l’intérêt mène bien plus loin encore ; le brave prince avait d’ardentes convoitises, il espérait bien ne pas s’en retourner les mains vides. Notre explorateur tendit les bras à cet ami ; devant passer sur son domaine, désirant engager des Antanosses pour l’expédition de Tulléar à Yaviboule, aucune visite ne pouvait lui être plus agréable. Le cortège étant trop nombreux pour entrer dans la hutte, la réception eut lieu en plein air ; sur le sable, on étendit une natte, le Français et le seigneur malgache prirent place, l’escorte forma le cercle. Incapable de dissimuler longtemps, Rabéfaner aborda tout de suite la question des cadeaux. Pour toute réponse, M. Grandidier fit apporter un baril de poudre, un fusil, des grains de corail, des clous, plusieurs mètres d’indienne pour les femmes ; la satisfaction du prince était au comble, sa joie gagna l’assistance. Le voyageur ayant annoncé qu’il avait ordonné de tuer un bœuf pour le repas du soir et que chaque homme recevrait une demi-bouteille de rhum, la troupe entière des sauvages répondit à ces nobles procédés par des cris d’enthousiasme.

Profitant de la situation, M. Grandidier entretint Rabéfaner de son projet, et le pria de lui laisser une douzaine de ses esclaves ; le chef malgache y consentit sur l’instant ; les conditions du marché furent débattues et arrêtées. Délivré d’un souci, l’explorateur, se hâtant d’achever les opérations géodésiques qu’il avait entreprises, se trouva bientôt prêt à partir. La caravane se composait d’un Betsimisarake actif, intelligent, ancien matelot devenu habile à préparer les objets d’histoire naturelle, — c’était le serviteur favori, l’homme de confiance, — ensuite d’un Cafre enrôlé comme chasseur, et des douze Antanosses, tous laids, très noirs, — ayant une grosse figure plate, le nez épaté, les cheveux touffus et crépus, divisés, selon la mode du pays, en une cinquantaine de petites tresses forte-