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à reconnaître dans l’homme blanc un véritable frère, il se lie avec l’étranger par le serment du sang. Plusieurs fois pendant son séjour au voisinage de la baie de Saint-Augustin, le voyageur fut appelé devant des kabars à répondre à des accusations de sorcellerie, mais la protection royale le couvrait, la bienveillance des principaux chefs faisait tomber les griefs. Les visites à Lahimerisa devaient avoir des conséquences heureuses de plus d’un genre. En revenant de la résidence royale, située sur les bords de la rivière Manoumbé, à Tulléar, l’explorateur aperçoit en un lieu qu’on appelle Amboulatsintra un petit marais ; il s’empresse de faire remuer la fange, et à une faible profondeur on rencontre un amas considérable d’ossemens fort extraordinaires, quelques-uns de proportions énormes. Il y avait en quantité presque toutes les pièces du squelette d’un hippopotame, des membres de l’oiseau colossal qu’on a nommé l’æpyornis, des tortues gigantesques, c’est-à-dire des animaux qui n’existent plus, des espèces absolument éteintes depuis une époque plus ou moins récente. Nous verrons bientôt le surprenant intérêt de cette découverte, qui fut annoncée à l’Académie des Sciences par M. Milne Edwards le 18 décembre 1868.

M. Grandidier se proposait de traverser l’île de Tulléar à Yaviboule ; il avait reconnu la situation de cette dernière localité en touchant à la côte orientale, et une fois déjà il avait fait presque la moitié du chemin en se rendant chez les Antanosses émigrés. Les Antanosses sont en général d’assez bonnes gens ; parmi eux seuls, on pouvait trouver des guides sûrs et des porteurs pour les bagages. Il n’y avait pas moyen de songer à prendre des Mahafales ou des Sakalaves capables de tout emporter, et de se débarrasser promptement du propriétaire, s’il se montrait trop gênant. À cet égard, notre compatriote était instruit par l’expérience ; dans une circonstance, il avait été pillé par des Mahafales, et ne s’était pas échappé sans peine des mains de ces brigands. Plein de confiance dans la réussite de son projet, le géographe lève le plan de la baie de Saint-Augustin, mesure une base propre à servir de point de départ pour les relèvemens trigonométriques qu’il devra exécuter, et s’occupe de l’hydrographie de la rivière Anoulahine. Il pensait se mettre en route très prochainement lorsqu’un soir, assis devant la porte de la hutte qu’il habitait à Tulléar, un bruit tout à fait inusité dans le pays des Sakalaves vint l’interrompre dans son travail. C’était le grincement d’un violon accompagné du roulement d’un tambour de bois, sujet de grande surprise, car de tous les Malgaches les Ovas sont les seuls qui aient imité nos instrumens de musique, et les Ovas ne viennent pas en amis chez les Antifihérénanes.

Tout ce tapage annonçait le prince antanosse Rabéfaner, qui