Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/814

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

simple et poétique. Deux jeunes femmes, disent les Malgaches, étaient allées puiser de l’eau loin de l’habitation ; deux voleurs, cachés près de la source, se jetèrent sur les pauvres créatures sans défense, dont les cris ne pouvaient être entendus du village, et les emmenèrent captives. Il fallut traverser un bois ; plusieurs cailles, venant à s’envoler, firent un grand bruit ; croyant à une surprise, les voleurs se sauvèrent au plus vite et abandonnèrent leur proie. À cette nouvelle, le chef de famille, rendant grâces à Dieu, à la patrie et aux ancêtres, jura solennellement que lui et les siens ne feraient jamais de mal au kibou. Aux yeux des habitans de Madagascar, rien n’est plus respectable que les vœux et les croyances des ancêtres.

Le jeune explorateur tenait à savoir s’il existait des mammifères dans ce triste pays, où les animaux sont encore moins nombreux que les hommes ; les guides avaient répondu qu’on rencontrait beaucoup de sifaks dans les environs. Le nom était connu, l’animal ne l’était pas ; simplement qualifié par Flacourt de « guenuche blanche à chaperon tanné, » personne n’en avait appris davantage sur ce sujet. La chasse se poursuivait depuis le matin, deux ou trois oiseaux seulement avaient été remarqués ; tout à coup les Malgaches s’arrêtent en poussant cette exclamation : sifak, sifak, et de la main ils désignent entre des branches d’arbre une forme toute blanche. Le voyageur tire un coup de feu, l’animal tombe, — un maki ou plutôt un indri à longue queue, au pelage blanc, avec le sommet de la tête d’un brun marron et la face nue d’un beau noir[1]. Pour des motifs qu’on nous laisse ignorer, l’indri blanc ou le sifak est pour les Antandrouïs un animal sacré ; aussi, quand, de retour au village, M. Grandidier se mit à dépouiller l’individu qui venait d’être tué, une cinquantaine de Malgaches de physionomie repoussante, armés de la sagaie et de l’escopette, manifestèrent des dispositions hostiles. Une députation vint de la part du roi avertir l’étranger qu’il pouvait garder la peau, mais que le corps devait être enveloppé de feuilles et convenablement inhumé. Pour apaiser les colères, il fallut enterrer en grande pompe les restes du sifak, mettre des pierres sur la place et planter quelques raquettes de nopals. Le joli mammifère vêtu de blanc habite la plupart des bois voisins des côtes du sud et du sud-ouest ; dans la suite de son voyage, M. Grandidier s’est procuré des individus vivans qu’on prenait dans des filets. Animaux doux et craintifs, les sifaks vont par petites troupes et se livrent à toutes les gambades imaginables aux heures du matin et

  1. L’espèce a été décrite par M. Grandidier (Album de l’île de la Réunion) sous le nom de Propithecus Verreauxii.