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qu’un petit sac de riz et deux boîtes contenant les instrumens nécessaires aux observations et aux préparations ; le mince bagage est chargé sur les épaules de deux ou trois hommes qui ont pris de l’entrain à l’aide de plusieurs rasades de rhum. La troupe gravit péniblement des dunes hautes et abruptes ; on se fraie un chemin à travers les buissons épineux, et les jambes nues sont écorchées. Au sommet, on ne découvre qu’une plaine stérile : pas un arbre, à peine des broussailles ; c’est désolé, inhabitable, triste comme les déserts de l’Égypte et de l’Arabie et moins grandiose. Les indolens Antandrouïs ne sont pas accoutumés à porter des fardeaux ; à chaque instant, ils changeaient d’épaule le bâton auquel étaient suspendus les paquets ; le roi, mû de compassion devant cette fatigue, n’hésita point, sans souci de l’étiquette, à prendre sur son dos le sac de riz de l’homme blanc. Après une longue marche dans le sable, on se trouve frappé à l’aspect d’un nouveau paysage ; partout il y a des nopals, c’est l’indice d’habitations voisines. Les nopals, végétaux originaires d’Amérique, depuis longtemps naturalisés en Afrique et dans le midi de l’Europe, ont sans doute été introduits à Madagascar par les Arabes ; dans les malheureuses contrées que n’arrose aucun cours d’eau, c’est une ressource inappréciable pour les habitans. Ici, chaque famille possède sa plantation de nopals. Les Antandrouïs ont une façon toute singulière de cueillir les fruits, qui sont connus parmi nous sous le nom de figues de Barbarie : avec la pointe de leur sagaie, ils les détachent fort adroitement, évitant ainsi l’atteinte d’épines redoutables ; ils les roulent dans le sable afin de détacher les soies épineuses dont la surface est couverte, et les pèlent avec le fer de la lance. À cette occupation, un homme doit vraiment avoir l’air d’un guerrier. Les figues de Barbarie apaisent la faim, calment la soif, et permettent de vivre sur un territoire où le pauvre peuple déclare n’avoir pas vu une goutte d’eau depuis plus d’un mois ; heureusement que la propreté n’est pas de rigueur dans la société des Antandrouïs.

La caravane est arrivée au village de Tsifanihi ; une assez vaste enceinte de nopals annonce la résidence royale. Au milieu, sur un sol couvert d’herbes desséchées, s’élèvent une dizaine de huttes ayant environ 2 mètres de côté : elles sont à peu près assez hautes pour qu’un homme de taille moyenne puisse s’y tenir debout ; mais en voyant la porte extrêmement étroite et toute basse il est permis de s’inquiéter de la manière d’y pénétrer. Rien de plus simple pourtant, on se couche par terre, et l’on entre en rampant. Le roi offrit a l’étranger la meilleure de ses huttes. La présence d’un homme blanc dans ce village, où personne n’en avait jamais vu, était un fameux sujet de curiosité ; naturellement toute la population accourt.