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lac Nyanza, mais bientôt c’est Madagascar qui s’empare de son esprit. Madagascar ! une terre intéressante par les souvenirs, une terre où la nature a des magnificences et des étrangetés presque sans pareilles : seule, la ceinture de l’île a été explorée ; en pénétrant à l’intérieur, il sera donc possible de rassembler les matériaux tout neufs d’une œuvre considérable. À cette pensée succède une décision bien arrêtée.

M. Grandidier avait appris à voyager, et s’était instruit sur une foule de sujets ; désormais il saura reconnaître ce qui est digne d’attention, distinguer ce qui réclame une observation précise, une recherche approfondie. Au printemps de l’année 1865, plein d’espoir dans le succès, il aborde la grande île africaine sur la langue de terre située en face de notre colonie de Sainte-Marie, la Pointe-à-Larrée. La préférence donnée à ce point de débarquement avait été déterminée par de sérieux motifs ; il s’agissait d’éviter la route ordinaire de Tamatave à Tananarive et surtout d’échapper à la surveillance des Ovas, qui n’avaient jamais permis aux Européens de s’avancer dans l’intérieur du pays. Par malheur, la vigilance des chefs était extrême ; à cette époque, la défiance contre les Français se trouvait surexcitée par la réclamation d’une indemnité pour le retrait de la charte concédée à M. Lambert par le roi Radama II. Toute alternative consistait à se borner à des promenades sur une étendue de quelques kilomètres ou à s’en aller. Le voyageur revint à Sainte-Marie avec l’idée de tenter ailleurs l’exécution de son projet ; la goélette du gouvernement le transporta au village de Mananhara, un peu au nord du cap Bellone, à l’entrée de la baie d’Antongil. Ici, les chefs ovas ne se montrèrent ni plus accommodans, ni plus faciles à tromper que les autres. Comme faveur exceptionnelle, on permit à notre compatriote de retourner à la Pointe-à-Larrée en suivant la côte, — un trajet d’une vingtaine de lieues. Après six mois d’efforts inutiles, M. Grandidier quitte Madagascar. Il avait mis à profit cette pauvre campagne en relevant la position géographique de quelques villages, en se familiarisant avec la langue et les mœurs des habitans ; il s’était préparé pour l’avenir et pour une meilleure fortune.

L’insuccès d’une première entreprise n’avait en effet nullement découragé l’explorateur. De retour à Bourbon, toujours ferme dans sa résolution, il entrevoit la possibilité de réaliser son dessein en évitant de paraître dans les lieux occupés par les Ovas. Une circonstance favorable se présente : depuis peu, des navires de la colonie vont trafiquer sur les côtes du sud et du sud-ouest de la Grande-Terre, entre le fort Dauphin et Mouroundava, au voisinage du 20e degré de latitude. Au mois de juin 1866, sur la rade de Saint-