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direction du sud ; mais aussitôt le gouvernement poussait les hauts cris. Sans donner un ordre formel, sans vouloir engager sa responsabilité, il plaçait Bourbaki sous le coup des effrayantes conséquences de sa résolution en lui représentant qu’il s’exposait à être obligé de capituler ou de se jeter en Suisse, et en insistant plus que jamais pour qu’on essayât une trouée par l’ouest. On tint un conseil de guerre : seul le général Billot semblait croire au succès du plan proposé par le gouvernement, et, comme Bourbaki lui offrait de prendre la direction de l’armée en ne se réservant pour lui-même que le commandement d’une division, Billot s’excusa en disant que, pour tenter un tel mouvement, il fallait un homme ayant le prestige militaire du général en chef. Tous les autres commandans de corps se prononçaient pour la retraite sur Pontarlier, et la retraite sur Pontarlier était maintenue. Aussi bien c’était la seule voie encore ouverte, et il n’y avait même pas de temps à perdre, si on voulait trouver ce passage libre. « Je tiendrai le plus longtemps possible de Salins à Pontarlier et au mont Lomont, » écrivait le général en chef au gouvernement. Il le croyait encore le 25, lorsque tout à coup la situation, déjà si terrible, s’aggravait étrangement. On apprenait que le Lomont, qui couvrait la droite de l’armée, venait d’être abandonné presque sans combat par le 24e corps de Bressolles, chargé de le défendre. Les légions de mobilisés de ce corps avaient pris la fuite au premier coup de fusil. Sans perdre un instant, Bourbaki donnait à Bressolles l’ordre de reprendre à tout prix les positions perdues, il faisait aux généraux une obligation de se mettre de leur personne à la tête des bataillons d’attaque, et il promettait de conduire lui-même sur le terrain une division du 18e corps. Chose triste à dire, les légions de Bressolles, au lieu de revenir à la charge, battaient en retraite plus que jamais, sans que les efforts des généraux pussent les arrêter. Le 18e corps, qui était sur la rive droite du Doubs, perdait un certain temps à passer sur la rive gauche. D’un autre côté, la division Cremer, envoyée au sud pour occuper Salins, trouvait ce point au pouvoir de l’ennemi et s’était vue rejetée à Levier, sur la route de Pontarlier. Enfin de tous côtés arrivaient au quartier-général les nouvelles les plus attristantes sur l’état moral et physique des troupes.

Tout se réunissait pour accabler un chef d’armée. Bourbaki, dans son camp de refuge ou de détresse à Besançon, voyait tout à la fois ses positions les plus utiles tomber, ses forces diminuer, les routes se fermer devant lui, les vivres s’épuiser et près de manquer faute d’un approvisionnement suffisant, — et avec cela le gouvernement de Bordeaux le harcelait à chaque instant de ses dépêches prétentieuses, souvent blessantes. Si le général Bourbaki eut à cette heure ingrate et terrible un accès de ce « désespoir noir » dont parle