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en apparence et en réalité inutiles qu’elle était appelée à soutenir. Le chef de l’armée allemande en effet, sans craindre beaucoup Garibaldi, mais ne voulant pas non plus être gêné par lui, avait pris ses précautions pour l’occuper où pour « l’amuser, » comme il le disait, et dans tous les cas pour l’immobiliser. Cette mission avait été confiée à une brigade du iie corps qu’on avait laissée un peu en arrière, et qui restait chargée de se présenter devant Dijon, pour y entrer, si elle le pouvait, ou pour tenir en respect les forces qui s’y trouvaient réunies, en couvrant les mouvemens du gros de l’armée du sud. Cette brigade joua certes parfaitement son rôle. Elle arrivait auprès de Dijon le 20 janvier. Cette fois on crut au camp de Garibaldi avoir sur les bras l’armée prussienne tout entière. Aux yeux de l’état-major, l’ennemi se multipliait ; il y avait au moins 50,000 hommes ! La réalité, c’était la brigade Kettler, comptant 2 régimens d’infanterie, 1 régiment de dragons et 2 batteries d’artillerie, à peu près 7,000 hommes en tout. Le général Kettler s’était peut-être flatté d’enlever aisément Dijon avec cette force ; il se trompait, il avait été abusé lui-même sur le chiffre de l’armée qu’il avait devant lui. Trois jours de suite, le 21, le 22 et le 23 janvier, il tournait autour des positions françaises devant la ville, renouvelant les assauts de tous côtés, se battant avec acharnement, et trois jours de suite il échouait. Ne pouvant avoir raison de l’armée française, il allait se placer au-dessus de Dijon, dans la direction de Messigny, pour surveiller et contenir les forces qu’il n’avait pu dompter. Je ne veux nullement diminuer le mérite de Garibaldi. Il gardait l’avantage, il avait infligé à Kettler les pertes les plus graves, et il restait maître de Dijon. Au fond, c’était à coup sûr le plus médiocre triomphe, et il n’y avait pas de quoi dire à ces jeunes soldats des Vosges qu’ils avaient « reçu les talons des terribles soldats de Guillaume, » que tous les « opprimés de la famille humaine » saluaient en eux leurs champions. Après tout, avec 40,000 hommes on avait fermé les portes d’une ville à 7,000 hommes, et ces combats, honorables pour ceux qui les livraient, ne servaient à rien dans l’ensemble de la campagne. L’armée de Manteuffel n’avait pas moins passé tranquillement, elle était déjà sur le Doubs. On n’osait pas même se mettre à la poursuite de cette brigade qui dans sa défaite remplissait encore sa mission en couvrant la ligne des opérations allemandes. On s’était laissé « amuser » à ce jeu sanglant, voilà la vérité. Toutefois ce n’était pas seulement la faute de Garibaldi ; c’était surtout la faute de ce gouvernement qui prétendait diriger des opérations, « coordonner les mouvemens des armées, » et qui ne coordonnait rien, qui laissait l’armée de l’est sans la protection qui lui avait été promise, et qui, après avoir quelques jours auparavant tancé Garibaldi pour son inaction, l’exal-