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destruction du pont sur la Moselle à Fontenoy, entre Nancy et Toul, interrompit les transports pendant dix-sept jours. Ce fut la seule tentative heureuse dirigée contre la ligne de l’Est, tandis que les Allemands en étaient maîtres. Il n’est pas hors de propos de rappeler comment l’ennemi se vengea de cet acte de guerre très licite sur la population civile des environs qui en était innocente. Le village de Fontenoy fut incendié et les communes de la Lorraine furent soumises à une contribution extraordinaire de 10 millions de francs ; puis le préfet prussien de la Meurthe interdit tous travaux publics ou particuliers jusqu’à ce que Nancy eût fourni cinq cents ouvriers pour travailler aux réparations, avec menace de faire fusiller ceux qui seraient présens, si le nombre n’en était pas au complet. Il faut savoir bon gré à M. Jacqmin d’avoir reproduit tout au long dans son livre les proclamations officielles de ce zélé fonctionnaire. Il convient que ces souvenirs ne s’oublient pas trop vite.

Si les Allemands ont fait preuve d’une habileté médiocre lorsqu’il s’est agi de construire ou de réparer, ils ont montré plus de ressources dans l’exploitation des chemins de fer dont la guerre leur donnait la jouissance momentanée. Dans ce cas, leur esprit méthodique reprenait l’avantage. Trains de troupes, trains d’ambulances, trains de munitions, d’approvisionnemens, on en vit circuler de toute façon entre la frontière et l’armée d’investissement. Sans doute cette exploitation provisoire était sujette à bien des accidens. Ils eurent le tort grave d’introduire à ce propos, et contre toutes les lois antérieures de la guerre, la coutume barbare de faire escorter les trains par des otages civils. Leur plus grand embarras fut de trouver des employés en nombre suffisant pour desservir les gares et pour conduire les trains, ainsi que le matériel nécessaire de locomotives, wagons à voyageurs ou à marchandises, car les compagnies françaises avaient refoulé vers le centre leurs machines et leurs voitures à mesure que l’invasion s’étendait, et le personnel resté sur place se refusait, sauf bien peu d’exceptions, à travailler au profit de l’ennemi.

Nous n’avons pu citer que les faits les plus saillans contenus dans le remarquable ouvrage de M. Jacqmin. Une œuvre de ce genre mérite d’être étudiée par les ingénieurs aussi bien que par les militaires, et même par ceux qui s’intéressent, en dehors de toute question technique, à l’histoire de cette grande guerre. Examinée dans ses détails, l’invasion allemande ne paraît pas, sous ce rapport, avoir le caractère de perfection que les adorateurs du succès accordent trop volontiers à l’organisation prussienne. Nous avons néanmoins beaucoup à profiter à cette étude. Il est certain que l’on aurait grand tort de se modeler en tout sur ce que nos vainqueurs ont fait pendant la campagne de 1870-1871. Il serait imprudent de se figurer qu’en décrétant par des lois ou des ordonnances une organisation toute semblable on obtiendrait en