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On avait l’air de vouloir le contraindre à répéter la leçon qu’on lui faisait ; il a refusé d’abaisser à ce rôle l’autorité dont il est le dépositaire et sa propre fierté. On pouvait voter contre lui, on n’avait à aucun titre le droit de le traîner sur une sellette d’accusé, comme il le disait.

Une fois sur ce terrain, la lutte est devenue et devait forcément devenir des plus graves. C’était une question de gouvernement naissant à l’improviste, dans la surprise d’une discussion, et M. le duc de Broglie ne pouvait ignorer qu’il tranchait cette question par réticence lorsqu’il proposait un vote excluant toute manifestation directe de confiance ou de défiance. Par le fait, le gouvernement tombait dans le vide sans avoir été renversé. Jetée subitement en face de cette situation, l’assemblée s’est vue un instant plongée dans la confusion la plus indescriptible. Les propositions se sont succédé ; les partis ont manœuvré au milieu des scrutins. En fin de compte, un ordre du jour, contenant tout à la fois un blâme des doctrines professées à Grenoble et un témoignage de confiance dans l’énergie du gouvernement, cet ordre du jour proposé par M. Mettetal, accepté par M. le garde des sceaux, a été voté, mais à une majorité qui perdait toute signification sérieuse par ce seul fait de l’abstention de plus de 300 membres de l’assemblée de la droite et de la gauche. Dans un pareil moment, on faisait de la tactique, et, à force de vouloir être habiles, les partis ont été, à tout prendre, de fort mauvais tacticiens. Si la partie de la droite modérée qui s’est abstenue avait voté, c’était elle qui donnait sa couleur à l’ordre du jour. Si dans l’abstention de la droite la gauche modérée avait voté, c’était elle qui faisait la majorité en faveur du gouvernement, et elle pouvait se donner cet avantage sans avoir rien à désavouer, puisqu’elle n’a point été la dernière à blâmer le discours de Grenoble. Dans tous les cas, on n’offrait pas ce singulier spectacle de 300 membres d’une assemblée souveraine déclarant leur incompétence dans une affaire où le gouvernement du pays pouvait sombrer.

Deux choses restaient assez claires après cela : l’ordre du jour n’avait rien tranché, et par son langage, par son attitude, par ses votes, la droite venait d’ouvrir les hostilités. C’est alors que la commission Kerdrel entre en scène. Jusque-là, elle n’avait qu’une mission assez peu définie, on ne savait ce qu’elle serait appelée à faire. Par le vote de l’ordre du jour Mettetal, qui laissait le gouvernement dans une situation indécise en constatant les intentions et la discipline de la droite, elle prenait une importance nouvelle. Elle a senti évidemment son ambition grandir avec les circonstances, elle est devenue une sorte de comité directeur du parti. La nomination de M. le duc d’Audiffret-Pasquier comme président de la commission indiquait l’esprit dans lequel on allait se mettre à l’œuvre. Le résultat n’a pas été longtemps incertain. La commission ne s’est pas bornée à ce qui semblait être son rôle ; elle ne s’est