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REVUE DRAMATIQUE

THEATRE-FRANCAIS
HÉLÈNE, drame en trois actes, en vers, de M. EDOUARD PAILLERON.

Ce n’est pas le talent qui manque à la plupart de nos jeunes écrivains dramatiques ; il leur manque une direction et un but. A voir les œuvres représentées sur nos principales scènes depuis dix-huit mois, il semble en vérité que rien d’extraordinaire ne se soit passé dans le monde. La France envahie par les Allemands, Paris déshonoré par des scélérats de tous les pays, ici des désastres sans exemple, là des forfaits sans nom, en même temps, Dieu merci ! les plus généreux élans du patriotisme, les sentimens les plus nobles et les plus mâles vertus, voilà notre histoire d’hier. D’où vient que le théâtre n’en a conservé aucune trace ? d’où vient qu’il n’a su y voir aucun avertissement ? Sans doute, c’est le privilège du théâtre de créer un monde idéal qui nous fait oublier les choses vulgaires ou sinistres de la vie quotidienne. Les émotions désintéressées nous y reposent des émotions directes. Bien mal inspiré serait l’auteur qui, voulant faire concurrence à la réalité, nous rappellerait sur la scène nos amertumes d’aujourd’hui ou nos préoccupations de demain. Ce n’est pas là ce qu’il faut demander à la littérature dramatique ; au contraire nous répétons plus volontiers que jamais le vers du poète : la vie est triste, l’art est serein. Prenez garde toutefois ; sans faire concurrence aux événemens de la vie publique, le poète doit en ressentir l’impression, et, provoqué en quelque sorte, rendre le coup qu’il a reçu. La sérénité de l’art n’est pas une sérénité d’indifférence, c’est une sérénité virile qui nous console dans nos afflictions et nous relève dans nos défaillances. A quel moment de sa carrière Schiller a-t-il écrit le plus austère et le plus énergique de ses drames ? Au moment où il avait sous les yeux le spectacle le plus décourageant. Tout se décomposait en