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filles et les jeunes gens dansent en silence, lentement, au son d’une musique très douce qui marque les pas d’une sorte de marche cadencée. L’homme le moins cultivé lui-même sort rarement du calme le plus complet. Il n’a pas de goût pour les boissons fortes ; un Grec est rarement ivre : s’il entre au cabaret, il demande des sucreries, de l’anisette ou un verre de belle eau fraîche.

Les haines chez lui ne sont jamais durables, à moins que l’amour-propre ne s’y trouve engagé. Des chefs de partis qui se sont condamnés à mort mutuellement, condamnations qui sont presque toujours sans effet, quelques semaines plus tard se serrent la main avec de chaudes protestations d’amitié, moins par politique que par oubli. Il n’y a point d’antipathies persistantes dans la Grèce moderne, il en était de même quand Platon dînait chez Aristophane. La facilité de la critique inspire les accusations les plus graves à la presse d’Athènes. Ceux qui se permettent des propos parfois odieux n’en voient pas la portée ; ces injures sont prises, comme elles sont dites, avec une grande indifférence. Par contre les affections fortes ne peuvent être dans les habitudes de ce peuple ; la femme ne saurait être associée à des préoccupations qui n’existent pas, consoler des peines qui seraient imaginaires. Tout au plus peut-elle prendre intérêt aux combinaisons et aux intrigues politiques. Elle est le plus souvent une ménagère, une bonne mère de famille ; quand elle se trouve mêlée à des aventures romanesques, elle y joue le rôle d’un enfant auquel l’homme demande une distraction, ou elle cède à la manie d’imiter les mœurs européennes, qu’elle comprend mal. En Grèce, les hommes ont toujours vécu d’un côté, les femmes de l’autre. Ce n’est ni aux caractères des lois antiques, ni aux Turcs, ni à l’éducation qu’on donne aujourd’hui aux jeunes filles, qu’il faut attribuer cet usage constant. Le christianisme et l’imitation des modes européennes n’y ont rien changé. L’homme de ce pays n’a pas besoin de cette communauté, de cette vie à deux que l’Occident a exaltée, et qui a créé chez nous depuis le moyen âge toute une poésie inconnue à l’antiquité. L’Orient hellénique n’a jamais compris ce mot des barbares germains rapporté par Tacite : il y a quelque chose de divin dans la femme. On voit cette absence de sentiment profond dans la religion. Les hommes en Grèce sont plus religieux que les femmes, du moins plus exacts aux offices. La religion n’a rien d’intérieur ; ce pays ne connaît pas les livres de piété, toutes ces littératures de l’Occident dont vivent les âmes pieuses ; la confession n’est qu’une formule, la direction des consciences ne saurait exister. Ce peu d’aptitude des femmes grecques aux émotions religieuses a frappé toutes les personnes européennes chargées d’élever des jeunes filles hellènes.