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jamais les pieds ? Ils pourraient faire fortune à l’étranger et cependant garder avec la mère-patrie des rapports étroits et journaliers, mais ils se détachent de tout intérêt aux crises politiques du pays et l’abandonnent à lui-même. Nous voyons ici par un exemple évident que le goût de la liberté, l’activité publique, une instruction primaire très générale, ne suffisent point pour assurer à une nation un progrès rapide. Les états les plus libres, les plus heureux, sont non pas ceux où on parle sans cesse de politique, mais ceux où le travail est continuel. Seul il développe le vrai sentiment de l’indépendance, ce sentiment qui ne devient profond et sérieux que s’il est justifié par l’estime raisonnable que chaque citoyen a de lui-même. Les luttes politiques sont l’accident et non le principal ; l’important, c’est le progrès public, le progrès de la richesse, de l’influence extérieure, de l’éducation, c’est la naturelle subordination des mérites qui porte au pouvoir un petit nombre d’hommes pour le plus grand bien de ceux qui semblent être les victimes de cette inégalité.

Les étrangers jugent souvent le royaume de Grèce comme le font les colonies helléniques de la Méditerranée. Ceux qui sont venus se fixer dans le pays, sauf quand ils se bornaient à un commerce d’entrepôt, toujours peu considérable, n’y ont jamais fait fortune. Ce sont donc non pas seulement les capitaux d’Alexandrie et de Trieste qui s’éloignent de la Grèce, mais ceux de toute l’Europe. Mieux vaut rester pauvre que de s’enrichir en faisant la fortune de l’étranger, dit un proverbe grec. On ne citerait pas un seul établissement européen qui ait prospéré dans le royaume. On voit ce qui arrive aujourd’hui à la compagnie du Laurium et avec quelle rigueur les Grecs veulent qu’elle disparaisse. Il est bien inutile de discuter longuement sur cette affaire ; elle est d’une simplicité parfaite. Une société s’est formée pour exploiter les scories laissées par les anciens dans les pays classiques ; elle a commencé en Occident, et dans toutes ses entreprises elle a d’abord fait des contrats réguliers, puis elle n’a plus songé qu’à perfectionner ses machines. En arrivant en Attique, elle a voulu faire de même ; elle a demandé qu’on lui proposât des conditions qu’elle discuterait. Les deux parties devaient préciser leurs propositions pour qu’on arrêtât un contrat définitif et qu’on n’y revînt plus. Le gouvernement hellénique se montra très conciliant. Aujourd’hui les Grecs voient qu’ils avaient chez eux un trésor : que cette richesse profite à des Italiens ou à des Français, ils répètent que ce vol est odieux. Les mines du Laurium sont devenues le rêve de tous les Hellènes. Ils imaginent en songe le royaume régénéré par cette heureuse fortune. Il n’est pas d’homme politique qui ose prendre sur lui l’odieuse responsabilité de transiger avec la compagnie, de dépouiller ses