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journal d’Agram, la Narodne novine, dit naïvement combien elle est profonde ; l’auteur soutient cette thèse étrange, que la civilisation ancienne n’est pas l’œuvre des Grecs, qui ont seulement prêté leur langue à d’autres races, et son grand argument, c’est que la notoire et odieuse méchanceté des Grecs prouve mille fois combien ils ont toujours été incapables de pensées élevées et de grandes conceptions. La perversité du Grec, les plaidoyers bulgares y reviennent sans cesse ; on sent qu’il y a dans ce peuple une haine accumulée et irrémédiable. Ce sont les mêmes sentimens que nous retrouvons dans un autre ouvrage de propagande imprimé récemment à Odessa. L’auteur, M. Rakovski, professe en histoire des idées toutes particulières. Il veut prouver que les Bulgares ont occupé de toute antiquité la péninsule du Baïkan, qu’ils sont plus anciens que les Grecs, que dans toute la Grèce il n’existe pas une dénomination géographique qui ne soit bulgare. Ce livre est une suite de chimères où l’on trouve en constant oubli toutes les lois historiques et les principes les plus élémentaires de philologie, mais à chaque page on y sent aussi une profonde colère contre l’hellénisme ; il nous montre combien est grande l’antipathie des Slaves du Balkan contre les Grecs.

Un récent épisode vient de donner à la polémique une nouvelle ardeur. On sait qu’en 1868 les journaux de Serbie et de Russie annoncèrent la découverte en Macédoine de poèmes très anciens qui sont connus aujourd’hui sous le nom de chants du Rhodope, bien que cette dénomination ne soit pas très exacte. Dès que le débat eut pris quelque importance, la Revue signala ces nouveautés ; elle le fit avec la réserve qu’il convenait de garder, sans se prononcer sur l’authenticité de la découverte. Le seul fait d’accorder quelque attention à ces chants provoqua de vives critiques à Constantinople et en Grèce ; l’Allemagne jugea tout d’abord qu’il y avait là quelque mystification, et on répéta la longue suite de toutes les fraudés qui remplissent depuis cinquante années l’histoire de la poésie populaire. Les Anglais presque seuls demandèrent avec nous qu’un slavisant impartial décidât la question. L’enquête a été faite ; les premiers résultats en sont dès maintenant connus. Le rapport de M. Auguste Dozon permet de comprendre ce que sont les chants du Rhodope.

Les chants bulgares avaient été recueillis par M. Vercovitch, aidé d’un maître d’école, Yovan Gologanor. M. Dozon voulut voir dès son arrivée en Macédoine ces deux collectionneurs. De ses entretiens avec eux, il résulta pour lui qu’aucune fraude n’était possible ; mais la seule preuve tout à fait décisive devait être de trouver les Bulgares Pomaks qui conservent les vieilles légendes, de les prendre au hasard dans leurs montagnes, d’écrire sous leur dictée, de