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Le caractère exclusivement hellénique de la haute église orthodoxe devait avoir tôt ou tard des conséquences qui se produisent depuis quelques années, et qui mettent en péril la puissance du patriarcat. En trois siècles, les évêques grecs des provinces slaves n’ont rien fait pour leurs fidèles ; ils n’ont fondé ni écoles, ni séminaires, le bas clergé même est resté dans une ignorance qui lui permet à peine de comprendre les offices qu’il lit. Le Grec a un si complet mépris pour le Bulgare, pour le Bosniaque ou l’ancien Serbe, qu’il n’a jamais songé que ces populations sortiraient un jour de leur torpeur. Ces peuples ont porté patiemment une double tyrannie, tyrannie militaire et administrative des musulmans, tyrannie religieuse de l’église. Ils ne veulent pas aujourd’hui secouer la première ; la seconde leur parait d’autant plus odieuse qu’elle est exercée par des raïas chrétiens sur d’autres raïas également chrétiens. Ils remarquent avec toute justice que, payant des sommes considérables au patriarcat et aux églises, ils ont droit aux avantages que le trône œcuménique assure aux fidèles de race grecque. Le conflit de l’église bulgare et du saint-synode n’a pas d’autre sens ; toutes les subtilités du Phanar, toutes les erreurs de discussions des deux partis ne sauraient nous faire illusion.

Depuis vingt années environ que la lutte a commencé, elle ne paraît pas être arrivée à une solution définitive. Les Bulgares sont encore trop neufs à ces sortes de polémiques pour les conduire résolument, pour ne pas se compromettre par de fausses démarches. Le patriarcat est assez habile pour embarrasser toujours ses adversaires. Il a fait cependant l’an dernier un pas décisif en admettant en principe la formation d’une église bulgare indépendante qui reconnaîtrait seulement la suprématie religieuse de Constantinople. Les choses en étaient à ce point que, pour ne pas tout perdre, il fallait transiger. Il serait du reste facile ensuite, pensait-il, de traîner en longueur la discussion ; il a donc demandé aux Bulgares de fixer les limites géographiques de leur propre église. Ceux-ci ont fait une carte, la Porte en a fait une autre, enfin le gouvernement d’Athènes a lui-même corrigé celle du patriarcat. Les deux partis, qui sont d’accord pour donner à l’église nouvelle la presque totalité des vilayets d’Andrinople et du Danube, ont surtout voulu s’attribuer le plus grand nombre possible d’enclaves dans les pays qui restent à leurs adversaires. On comprend que dans un pareil débat les contestations de limites et de nationalités puissent être éternelles. Telles ont été les espérances du patriarcat. Quelle que doive être la solution, la paix ne saurait être que temporaire et mal faite ; la lutte renaîtra sous d’autres formes. Les Bulgares ont aujourd’hui des écoles, ils écrivent des livres d’éducation, des histoires nationales et des grammaires, ils se sont imposé une taxe pour l’instruction publique ;