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asiatique semble se rappeler toujours ses origines. Ses plus riches communautés, dans les grandes villes de Turquie, vivent chez elles sans rapport avec les autres familles chrétiennes qui les entourent.

Les Grecs doivent aux legs que leur a faits l’empire byzantin, aux sympathies de l’Europe qui leur ont souvent donné un utile appui, d’autres avantages plus précieux. L’empire de Constantinople leur a laissé l’administration des chrétiens d’Orient qui prennent le titre d’orthodoxes. Depuis trois cents ans, ce sont les Hellènes qui gouvernent presque tous les non-musulmans de la Turquie. Certes les cadres de l’ancienne église ont été modifiés. Des circonscriptions qui comprenaient douze évêchés n’en comptent plus qu’un ou deux ; telles sont celles de Philippopolis, d’Andrinople, de Janina. Il n’en est pas moins vrai qu’aujourd’hui encore la race grecque garde seule le privilège de donner des évêques aux orthodoxes de la Turquie. La haute église est tout entière en son pouvoir ; or, pour les chrétiens, dans l’empire ottoman, l’évêque représente l’administration ; non-seulement il règle les mariages et les divorces, mais il veille à l’exécution des testamens ; il a la haute main dans la question des écoles, dans celle des hospices et de tous les établissemens d’utilité publique. La plupart des contestations civiles sont portées à son tribunal. Dans les conseils du gouvernement, où se décident les affaires des finances et de justice, il est, aux termes de la nouvelle loi sur les vilayets, le représentant légal de la communauté. C’est par son intermédiaire que passent les plaintes des raïas à l’autorité. Il a entrée partout et en tout temps, et, quand il veut parler un langage ferme, il est rare qu’il ne soit pas écouté. Par ses relations avec Constantinople, par son influence auprès de la société du Phanar, par les journaux, qui commencent à prendre en Orient une réelle importance, il peut faire échec au pacha le plus influent.

Les chrétiens de la religion grecque forment pour la Porte la nation des Romains. On reconnaît ici l’ancien titre des empereurs de Constantinople, qui s’appelèrent jusqu’au dernier jour rois des Romains. Les Ottomans donnent encore à la Turquie d’Europe le nom de pays des Roms. Cette nation compte 6 millions d’âmes, dont 1 million seulement en Asie. Elle était plus nombreuse de près de moitié alors que les Principautés et la Serbie formaient des provinces immédiates. Si réduite qu’elle soit, elle reste la plus importante des communautés chrétiennes de l’Orient. Les Latins, qui n’ont jamais eu d’influence politique, et qui du reste sont divisés en très petits groupes, ne vont pas au nombre de 900,000 ; on ne compte guère plus de 2 millions d’Arméniens de la secte d’Eutychès. Si les musulmans forment en Asie les trois quarts de la population totale, ils atteignent à peine en Europe le chiffre de 4 millions .