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LES SOUFFRANCES D’UN PAYS CONQUIS.

dra-t-on des élèves clair-semés de ces établissemens appauvris les résultats qu’on obtenait d’une nombreuse jeunesse au temps de leur prospérité ? Les départemens du Haut-Rhin, du Bas-Rhin, de la Moselle et de la Meurthe sont classés chez nous au nombre de ceux qui renferment le moins d’illettrés. L’instruction y est si répandue et donnée avec tant de soin que les inspecteurs allemands des écoles annexées ne peuvent revendiquer pour les écoles de l’Allemagne aucune supériorité sur les nôtres. De leur propre aveu, l’enseignement primaire a produit en Alsace-Lorraine d’aussi bons résultats que dans les provinces germaniques.

Pour le reste, la Prusse permettra aux annexés de ne lui demander aucun exemple et de ne recevoir aucune leçon des missionnaires qu’elle leur envoie. Si l’on en excepte un petit nombre d’hommes de mérite et d’esprits élevés qui prennent bientôt leur tâche en dégoût, les nouveaux habitans et les nouveaux fonctionnaires de l’Alsace-Lorraine ne feront que peu d’honneur au pays qu’ils représentent. On s’étonne à bon droit qu’un peuple si fier de sa civilisation, qui parle avec tant de complaisance de ses qualités et de ses vertus, se montre au dehors sous de si fâcheux aspects. La nuée d’aventuriers qui derrière l’armée d’invasion s’est abattue sur la France pour s’en partager les dépouilles se concentre maintenant dans les provinces annexées. Les magistrats prussiens reconnaissent une partie de ces émigrans pour les avoir jugés autrefois et condamnés en Allemagne. Beaucoup disparaissent, après un rapide examen des lieux, en s’apercevant qu’une population défiante et hostile leur fournira peu d’occasions d’exercer leurs talens. On dit que le gouvernement accorde une prime à quelques-uns pour les attacher au pays et les y retenir ; ceux-là louent une boutique, s’y installent avec quelques marchandises fort inférieures aux produits français, attendent les acheteurs, et, n’en voyant point venir, déposent leur bilan au bout de quelques mois. À Metz, en moins d’une année, plus de cent faillites allemandes ont été déclarées au tribunal de commerce. Il est bon d’apprendre à la vertueuse Allemagne, si convaincue de l’innocence de ses mœurs et de la corruption des nôtres, que, partout où ses nationaux succèdent à la population française, la proportion des naissances illégitimes s’accroît immédiatement. Il y a des parties du territoire annexé où elle était de moins d’un tiers avant l’annexion et où elle s’élève maintenant à la moitié.

Il serait malséant d’accuser les fonctionnaires prussiens des mêmes défauts que les simples particuliers. Peut-être au début ne furent-ils pas tous choisis avec assez de précautions ; il suffisait alors de balbutier quelques mots de français pour solliciter une place en