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LES SOUFFRANCES D’UN PAYS CONQUIS.

Novéant à Pagny, vers la fin du mois de septembre, les voitures de déménagemens se succédaient sans interruption la nuit et le jour, aussi rapprochées les unes des autres et aussi serrées qu’elles eussent pu l’être dans les rues de Paris lorsqu’un encombrement s’y produit. À la même époque, cent cinquante wagons de meubles entraient tous les jours en France par la gare de Pagny.

La ville de Metz, autrefois si florissante et si animée, ressemble aujourd’hui à un désert où n’apparaissent plus que de loin en loin quelques débris de l’ancienne population ; les écriteaux suspendus au-dessus de toutes les portes, les fenêtres closes, annoncent que dans tous les quartiers les maisons demeurent vides. Dans la rue des Clercs, la plus fréquentée de toute la ville, qui conduit de l’Esplanade à la cathédrale, douze grands magasins se sont fermés pour ne plus se rouvrir. Les fabriques de chaussures, de flanelle, de bonneterie, qui occupaient 2 000 ouvriers, s’établissent à Nancy ; les ateliers justement renommés où M. Maréchal peint ses vitraux se transportent à Bar-le-Duc. Tous les anciens avoués du tribunal, la plupart des huissiers ont donné leur démission et gagné la France ; il ne reste plus dans toute la ville que deux notaires. D’après les calculs les plus modérés, on ne peut évaluer le nombre des personnes qui ont quitté Metz à moins de 32 000. Du chiffre de 48 000 habitans, l’ancienne population est tombée à celui de 16 000. Ce n’est plus la vieille cité messine que les Prussiens possèdent ; ils n’en gardent que l’ombre. La France avait fait de Metz une ville riche et active, à la fois militaire, savante, industrielle, dotée de magnifiques établissemens, de l’école d’application d’artillerie et du génie, d’une école régimentaire d’artillerie, d’une cour d’appel, d’un lycée appartenant à l’état et d’un collège libre, d’une école de dessin et de musique, d’écoles municipales dignes de rivaliser pour la perfection des méthodes et l’étendue de l’enseignement avec les institutions analogues de Mulhouse et de Paris, qu’elles ont en général précédées, auxquelles même elles ont en plus d’un point servi de modèles. Le zèle de la municipalité et l’intelligence de l’industrie privée complétaient par des efforts locaux, par des créations individuelles, l’action bienfaisante du gouvernement. Que deviennent aujourd’hui toutes ces richesses, œuvre des siècles, produit du travail de plusieurs générations françaises ? Il a suffi que Metz tombât au pouvoir des Prussiens pour qu’en deux ans la vieille cité descendît du second rang au dixième, reculât jusqu’aux temps les plus obscurs et les plus malheureux de son histoire. Il dépend de ses nouveaux maîtres de la faire descendre encore sur la pente de la décadence, mais il ne leur appartient point d’y ramener la vie et l’activité première. Tant que Metz restera entre leurs mains, Metz,