Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/560

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

candidature. Le récit de ses pérégrinations, répété par toute la presse, amusa l’Amérique entière. On le décrivait partant seul de New-York, avec son gilet débraillé, son éternel chapeau blanc, et son sac de nuit noir, « vieux serviteur honoré par un long usage. » A chaque station, des curieux ou des admirateurs faisaient foule autour de lui. On le cherchait de voiture en voiture, on criait « où est Greeley ? » on le traînait sur la plate-forme du car, et on le faisait parler de gré ou de force. Lui de se défendre et de s’excuser de son mieux ou de s’exécuter de bonne grâce, quand il ne parvenait pas à s’excuser, heureux quand le sifflet de la locomotive venait l’interrompre dans son exorde et le dispenser d’une péroraison. Parfois il allait se rasseoir, et la foule défilait alors dans la voiture pour lui serrer la main. Puis c’étaient les réceptions pompeuses, les bandes de musiciens venues à sa rencontre, les jeunes filles lui offrant des fleurs, les cortèges de voitures à quatre chevaux où le génie de la réclame commerciale avait soin de glisser quelques chariots d’annonces, se promenant ainsi sous le patronage du triomphateur. Le 18 septembre au matin, M. Greeley part en chemin de fer de Philadelphie ; à Lancaster, où le train s’arrête un quart d’heure, on le hisse sur le balcon d’une auberge d’où il prononce un discours. A Harrisburg, nouveau discours ; à chaque station, allocution de circonstance. A Indiana, il trouve une foire assemblée ; il saisit cette occasion pour faire une conférence sur l’agriculture. Le lendemain, il arrive harassé à Pittsburg ; une procession vient à sa rencontre avec des torches allumées et le conduit au balcon d’un hôtel d’où on le force à discourir encore. Le lendemain, il repart pour l’Ohio. Au bout de quelques semaines, il revient à New-York exténué, ayant prononcé peut-être deux cents discours, ayant beaucoup injurié et calomnié le général Grant, beaucoup exalté le patriotisme des populations du sud, beaucoup prêché l’union, la concorde et l’amour, et beaucoup nui au succès de sa candidature, déjà compromise. Le peuple américain, qui aime ces exhibitions personnelles, n’en conçoit pas toujours beaucoup plus d’estime pour celui qui s’y livre. Ce moyen n’avait pas réussi à M. Johnson ni à M. Seymour ; au lieu de relever M. Greeley dans l’opinion publique, il acheva de le perdre.

Pendant que M. Greeley battait la campagne, le général Grant, toujours discret et calme, prenait tranquillement les bains de mer, et continuait à s’occuper des affaires de l’état. Ses amis s’agitaient pour sa cause ; ainsi le sénateur Wilson, vice-président désigné du parti républicain, se livra dans l’état du Maine, à l’occasion des élections locales, à la propagande la plus active, et dépassa presque l’activité de M. Greeley : en quelques jours, il prononça