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Trumbull contre le général Grant et celui de M. Conkling contre Greeley. Le général Schurz, fidèle à l’attitude qu’il avait prise, ne fit de M. Greeley qu’un éloge fort indirect ; il avoua avec candeur que la convention de Cincinnati l’avait profondément désappointé, et avec lui tous ceux qui souhaitaient « que ses résolutions, comme ses candidats, fussent de nature à fournir une administration aussi voisine de l’idéal du bon gouvernement que la sagesse humaine le comporte. » Greeley, suivant lui, n’était que le pis-aller le meilleur pour aider à renverser Grant. Le sénateur Trumbull, à Indianapolis, développa longuement le thème accoutumé des accusations des libéraux contre le président, ses mauvaises nominations, son despotisme en Géorgie et en Louisiane, les fraudes, les vols de ses favoris, sa dureté à l’égard des gens du sud vaincus et humiliés, et il conclut en s’écriant : « Nous voulons rayer le mot de rebelles de notre vocabulaire ! » Quant à M. Conkling, il n’eut pas de peine à faire un sanglant portrait de M. Greeley, de son charlatanisme, de son inconstance, de son ignorance, de sa vanité, de sa présomption. A les entendre les uns et les autres, il aurait fallu plaindre profondément le pays, qui allait se voir réduit à choisir entre deux pareils hommes pour leur confier la première magistrature de l’état.

Pendant que les uns péroraient, les autres écrivaient, et l’on eut à côté de la campagne des discours une autre campagne moins retentissante, quoique tout aussi sérieuse, qu’on pourrait appeler la campagne des lettres. Ce fut M. Sumner qui ouvrit ce tournoi épistolaire par une longue homélie aux hommes de couleur, dont la défection de Greeley à Grant commençait à devenir inquiétante pour ceux des anciens abolitionistes qui avaient cru pouvoir les entraîner dans la coalition démocratique et les jeter dans les bras de leurs anciens maîtres à la suite de leur vieil ami. Les noirs en effet, qui longtemps s’étaient fait de Greeley une espèce d’idole, en étaient complètement désabusés depuis qu’ils lui voyaient prôner leurs ennemis, proclamer les states-rights au risque de les livrer sans défense aux hommes du sud, et justifier de son mieux les atrocités commises contre eux tous les jours par leurs persécuteurs de Ku-Klux-Khlan. Ils voyaient d’ailleurs avec inquiétude les doctrines de M. Greeley sur les droits égaux des deux races se modifier graduellement avec les circonstances, et s’accommoder complaisamment aux besoins de sa candidature. La Tribune, autrefois si ardente à les défendre, n’en était-elle pas venue à recommander à leur égard ce qu’elle appelait « la politique de séparation, » c’est-à-dire l’égalité virtuelle des deux races placées sous deux législations différentes, et exerçant isolément les mêmes droits comme deux nations différentes ? Ainsi, suivant la Tribune, il aurait fallu pour les hommes de couleur des écoles, des chemins de fer, des