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circonstance la candidature déjà oubliée du juge Davis, de la cour suprême, et du philanthrope Théodore Parker, désignés de longue date par la ligue des labour-reformers comme leurs candidats à la présidence des États-Unis. Sur le refus de M. Davis et de M. Parker, les labour-reformers se réunirent de nouveau à New-York, le 29 juin, pour en désigner d’autres. De grands efforts furent, faits auprès d’eux pour les décider à se rallier purement et simplement à la candidature du général Grant. Quoique la majorité penchât dans ce sens, on ne put obtenir d’elle une déclaration positive.

Ces entreprises locales, ces initiatives individuelles n’avaient pas grande chance de succès dans un pays où les choses de la politique se décident par grandes masses, et où les partis, une fois constitués, maintiennent dans leur sein une stricte discipline ; mais elles prouvaient le désordre, l’agitation d’esprit anormale où la nomination de M. Greeley par l’opposition et l’alliance surprenante du radicalisme avec la démocratie avait jeté le monde politique américain. La candidature de M. Greeley, si inattendue à l’origine et d’un succès si invraisemblable, n’en faisait pas moins des progrès lents et sûrs. La discipline politique l’emportait petit à petit sur les diverses tentatives de sécession faites dans le nouveau parti libéral par les hommes sérieux que blessait le choix de M. Greeley. Les dissidens, après de vains essais de révolte, rentraient un à un dans le sein du parti, non convertis assurément, mais résignés à obéir. Le mouvement séparé des libres échangistes avait complètement réussi celui des labour-reformers n’avait pas pu aboutir. Quant aux démocrates, d’abord pleins de répugnance pour l’alliance qui leur était offerte, ils commençaient à se laisser séduire par l’espoir d’en tirer parti. Sans doute ils se méfiaient de M. Greeley, et n’avaient aucune raison de le regarder comme un ami solide ; pourtant la reconnaissance des droits des états, l’assurance qu’aucun empiétement nouveau ne serait fait par le gouvernement fédéral, et surtout la promesse d’une amnistie générale levant les dernières incapacités politiques maintenues depuis la guerre contre quelques-uns des chefs confédérés, étaient de grands et sérieux avantages qu’il ne fallait pas dédaigner. Ils craignaient d’être dupes et de se voir reniés le lendemain de l’élection par le président qu’ils auraient concouru à élire ; cependant le meilleur moyen d’éviter cette mésaventure n’était-il pas encore de s’attacher à lui en grand nombre, de l’attirer dans leur camp, de se l’approprier par une adoption franche d’exiger de lui des gages certains, et de se servir de son nom pour rentrer au pouvoir derrière lui ? M. Greeley d’ailleurs n’épargnait rien pour se faire bien venir de ceux qui avaient été pendant longtemps ses pires ennemis. Son journal la Tribune, dont il avait ostensiblement abandonné la direction en acceptant la