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vêtemens, sont occupés par les malades, dont on obtient sans peine un travail suffisant pour subvenir aux besoins de la maison. On est toujours surpris de voir confier des outils, des instrumens tranchans à des fous, qui subitement peuvent devenir dangereux et les employer à des actions mauvaises. Il n’est pas sans exemple, mais il est extraordinairement rare qu’ils s’en soient servis pour commettre un homicide ou pour se donner la mort. L’aliéné respecte l’outil avec lequel il exerce son métier, que ce soit une hache, un frappe-devant ou une faux ; on dirait que l’idée de le détourner de l’usage consacré ne lui vient pas ; s’il veut faire un mauvais coup, il volera un couteau, ramassera un tesson de bouteille, et n’utilisera pas la pioche ou le merlin qu’il a eu en main pendant toute la journée. L’exemple donné par Ferras a été suivi. Partout on fait travailler les aliénés ; administrativement on s’appuie sur l’article 13 de la loi du 16 messidor an VII, qui dit : « Le directoire fera introduire dans les hospices des travaux convenables à l’âge et aux infirmités de ceux qui y sont entretenus ; » scientifiquement on a constaté les excellens résultats que l’on obtenait, résultats prouvés au besoin par ce fait, que dans la nuit qui suit les jours de repos imposé, dimanches et grandes fêtes, le sommeil des aliénés est incomplet et troublé.

Dans ces durs mois d’automne et d’hiver pendant lesquels Paris, investi par les armées allemandes, était isolé du reste du monde, l’asile, de Vaucluse a rendu d’inappréciables services aux aliénés, car c’est là qu’on avait expédié en hâte tous les malades de Ville-Évrard. Un établissement construit pour contenir 600 places normales se vit tout à coup envahi par une population de 1,100 fous qu’il fallait nourrir, soigner, protéger au milieu des corps de troupes ennemies qui occupaient les environs, coupaient toutes communications et battaient l’estrade dans la campagne voisine. Le médecin-directeur, M. Billod, déploya dans ces circonstances plus que difficiles une habileté, une énergie et une intelligence au-dessus de tout éloge. Il n’abattit point le drapeau de la France, il maintint intacte la dignité de l’administration qu’il représentait, se refusa énergiquement à toute réquisition, ferma ses portes, qu’il ne laissa franchir à aucun détachement prussien, et, à travers des difficultés qu’on peut à peine soupçonner, ravitailla l’asile de telle sorte que nul n’y souffrit trop de la faim ni du froid. Dès le 14 septembre, aussitôt que les premières patrouilles prussiennes apparurent, il comprit que l’asile, n’étant point hôpital militaire et ne renfermant pas de blessés, ne jouirait qu’à titre courtois et par conséquent fort aléatoire des bénéfices que la convention de Genève assure aux maisons hospitalières faisant fonctions d’ambulance. L’attitude des officiers, leurs demandes, qui commençaient à ressembler terriblement à des