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Le jour où je l’ai visité, il en renfermait 524, soignés par quatre médecins, dont un seul est résidant, surveillés, aidés, servis par 120 personnes, dont 50 sœurs de Marie-Joseph. Le directeur, un homme fort expert, qui a meublé, outillé, organisé l’asile, appartient à l’ordre exclusivement administratif. C’est à Sainte-Anne, avons-nous dit, qu’on amène les aliénés expédiés par l’infirmerie spéciale située près du Palais de Justice. On les garde provisoirement, et on les distribue, selon les vacances, dans les quartiers de l’asile même, à la Salpêtrière, à Bicêtre, à Ville-Evrard ou à Vaucluse. Dans ce dernier cas, on les envoie, escortés de gardiens, par le chemin de fer d’Orléans, à Épinay-sur-Orge, où une voiture vient les chercher pour les conduire dans le plus magnifique asile que je connaisse.

C’est un domaine de 110 hectares, qui s’appelait jadis La Gilquillière ; le comte de Provence le débaptisa et le nomma Vaucluse, pour plaire au marquis de Crussol, son propriétaire. Le château, qui n’est qu’une assez belle maison, existe encore, et n’a pu être utilisé pour le service des malades ; il est entouré d’un parc ombreux, percé de grandes allées ; le terrain légèrement incliné domine le cours de la petite rivière d’Orge, et la vue que l’on embrasse dm sommet des vertes hauteurs semble avoir été faite « pour le plaisir des yeux, » ainsi que l’on disait au XVIIIe siècle. En face se développe la forêt de Sainte-Geneviève, où Mlle de Fontange, accompagnant Louis XIV à la chasse, entoura son front du ruban qui devait la rendre immortelle dans un pays où la mode domine tout ; à gauche, des pentes boisées descendent vers les prairies, qui vont jusqu’à Epinay ; à droite, la vieille seigneurie que Hugues Capet donna en 991 à Thibaud File-Ehoupe, Montlhéry, dresse son donjon lézardé sur la colline et regarde les champs où se livra entre Louis XI et le comte de Charolais la plus étrange bataille dont l’histoire ait gardé le souvenir, car tout le monde se sauva, et chacun chanta victoire. L’air est pur et fortifiant ; un fait vraiment exceptionnel le prouve : l’asile, qui fut inauguré le 23 janvier 1869, est resté cinq mois et demi sans avoir un seul décès à constater sur une population moyenne de 600 individus.

A l’établissement sont annexés un moulin et une ferme, exploités par les malades. J’ai vu passer les travailleurs ; ils s’en allaient vêtus de leur bon costume d’été en toile bleue rayée de blanc, la tête abritée par un large chapeau de latanier, portant sur l’épaule les houes, les louchets, les râteaux et les faux ; d’amples bidons de café noir mêlé d’eau très légèrement alcoolisée les accompagnaient sur une petite charrette et devaient leur permettre de se désaltérer pendant les instans de forte chaleur. Des ateliers pour le charronnage, la forge, la cordonnerie, la menuiserie, la confection des