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appui à qui sait le mériter, ni ses ressources à qui sait en user patriotiquement. À quoi se bornent ses vœux pour le moment ? Il désire qu’on lui épargne les agitations inutiles, les égoïstes violences de partis, les disputes jalouses et passionnées sur des ruines encore fumantes ; il demande qu’on lui donne la paix, qui est la grande réparatrice, après la paix l’ordre, qui est le protecteur, le seul garant des légitimes régénérations nationales, avec l’ordre et la paix un gouvernement sensé, régulier, qui sache conduire ses affaires sans le jeter dans des aventures et des expériences nouvelles. Accordera-t-on à ce pays ce qu’il demande ? Les partis consentiront-ils à lui faire la grâce d’un peu de sécurité et de repos, les uns en retenant leurs passions et leurs fantaisies emportées, les autres en sachant sacrifier leurs regrets ou leurs préférences ? Le problème est là tout entier en définitive. Ainsi M. le président de la république lui-même définissait encore une fois la situation de la France dans le message qu’il lisait hier à Versailles, dans ce message qui a paru étonner ou émouvoir une certaine partie de l’assemblée, comme si cette situation que caractérisait M. Thiers était son œuvre, comme si ces questions qu’il faisait apparaître ne se dégageaient pas de la nature des choses, comme s’il était possible enfin au chef de l’état d’éviter ce qui est dans l’esprit de tout le monde.

Ce qui est dans l’esprit de tout le monde, c’est que, sans prétendre disposer irrévocablement d’un avenir qui n’appartient qu’au pays, que les plus habiles ne sauraient prévoir, il faut arriver à fixer un peu sur notre sol ébranlé cette tente où s’abrite la France depuis deux ans. Qu’on le veuille ou qu’on ne le veuille pas, le moment est venu, et c’est pour cela justement que M. le président de la république a eu raison de dire à l’assemblée, en la mettant en face de la nécessité qui s’impose à elle : « Vous avez devant vous une grande et décisive session. » Est-ce par hasard M. Thiers qui a créé cette nécessité ? Il la reconnaît, il la montre comme il la voit, il ne la crée pas : elle est l’œuvre de tout le monde, d’une certaine force des choses, d’une suite d’événemens inouïs, et peut-être aussi surtout de ceux-là mêmes qui se refusent le plus à la subir. Le grand mérite du message, c’est d’aborder cette situation avec un art merveilleux, avec une émouvante et persuasive sincérité qui n’exclut ni la finesse ni la fermeté d’un esprit supérieur, avec un sentiment de patriotisme qui s’élève sans effort au-dessus de toutes les considérations vulgaires. Le message, c’est M. Thiers tel qu’il est, tel qu’on le connaît, avec son bon sens, sa raison, son habileté et son expérience des mouvemens publics. Ce n’est pas le moment, sous l’impression première de cet éloquent et lumineux exposé, lorsqu’un député de la droite, M. de Kerdrel, a provoqué immédiatement la nomination d’une commission pour répondre à M. le président de la république, ce n’est pas le moment de s’arrêter aux parties