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rien à Athènes qui ressemblât à notre magistrature. Beaucoup plus élémentaire et plus courte que la loi romaine ou que la nôtre, la loi attique semblait pouvoir être comprise et appliquée par tout citoyen d’un esprit attentif et judicieux ; il n’y avait rien là de ce qui rendit nécessaire ailleurs l’établissement d’une corporation destinée à pénétrer les mystères d’un droit subtil et compliqué, à en transmettre la tradition, et à rendre la justice en vertu de ses connaissances spéciales. Une pareille corporation eût été d’ailleurs quelque chose de tout à fait contraire aux idées athéniennes ; elle eût blessé les susceptibilités démocratiques. D’autre part, dans chaque affaire siégeaient deux cent cinquante ou cinq cents juges, quelquefois plus ; il était impossible qu’il s’établît, entre un si grand nombre de personnes, quelque chose qui ressemblât à une délibération et à une entente sur l’application de la peine. Il aurait fallu ou que l’on fît retirer le public et les parties, ou que chaque tribunal fût doublé d’une salle voisine aussi spacieuse qui aurait servi de chambre du conseil. Encore, dans ces conditions mêmes, la discussion eût-elle risqué d’être longue et tumultueuse. On ne trouve ni chez les orateurs ni chez les lexicographes grecs aucune allusion à une retraite du jury après le prononcé du verdict. Le prévenu une fois déclaré coupable, on lui demandait à quelle peine ou, quand il s’agissait d’une affaire d’argent, à quels dommages et intérêts il se condamnait lui-même ; quant à la peine proposée ou à l’indemnité réclamée par celui qui avait introduit l’instance, on les connaissait par son plaidoyer et par le texte même de sa plainte. Aucune loi n’interdisait au jury de prendre un terme moyen entre ces deux évaluations, qui d’ordinaire étaient fort éloignées l’une de l’autre ; mais il semble que dans la pratique il se soit presque toujours contenté de choisir entre les deux solutions qui lui étaient soumises. Pour celui qu’avait déjà frappé le premier verdict du jury, c’était affaire de tact que de savoir deviner, d’après les dispositions qui s’étaient manifestées dans le tribunal et même dans l’auditoire ; d’après le chiffre des voix qui s’étaient prononcées contre lui, quelle était la mesure des sacrifices indispensables. De soi-même donner plus qu’il n’était nécessaire, c’était sottise ; d’un autre côté, ne point offrir au jury une satisfaction qui lui parût suffisante, c’était beaucoup risquer.

Aphobos et ses conseils n’en étaient pas à leur première affaire, ils connaissaient le jury athénien, ses exigences et son humeur ; mais il en coûtait trop au tuteur infidèle de restituer l’argent qu’il avait volé, et qu’il s’était accoutumé à regarder comme son bien. Peut-être aussi, dans un groupe de gens habitués à mépriser et à dénigrer le jeune homme contre lequel ils avaient tant osé, ne se rendait-on pas encore bien compte de la profonde impression