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popularité et les honneurs que le peuple accordait à ceux qui concouraient généreusement aux dépenses et au luxe de la cité.

Un pareil système n’eût pas été applicable dans un grand état où beaucoup de citoyens, contens d’augmenter leur fortune et d’en jouir en paix, se fussent volontiers passés des faveurs du peuple. Dans un état au contraire qui n’était qu’une ville, ceux qui par nature eussent été peu enclins à la libéralité n’avaient pas beau jeu pour se perdre dans la foule. Il était malaisé de se soustraire à l’attention jalouse des orateurs, qui, par intérêt ou par patriotisme, épousaient la cause de la république, et travaillaient à soulager le trésor. Chacun vivait en pleine lumière, sous les yeux de tous. On savait quels biens vous possédiez et comment vous viviez. En vain votre capital, au lieu d’être tout en terres, consistait en argent prêté ; à de gros intérêts çà et là, en vain vous vous étiez arrangé de manière que personne ne pût dire au juste le montant de votre fortune ; pour peu que l’on vous sût à l’aise, si vous étiez chiche de votre argent quand il y avait des liturgies à remplir, vous étiez bientôt mal vu, vilipendé, dénoncé. Ce n’était pas tout : à la première occasion, un citoyen plus pauvre vous provoquait à un échange de biens.

L’échange, un des rouages les plus curieux de la constitution financière d’Athènes, se rattachait étroitement au système des liturgies. Voici comment : chacun était taxé d’après la fortune qu’on lui supposait, ou plutôt d’après celle qu’il déclarait lui-même, car dans un pays industrieux et commerçant il n’y a guère d’autre moyen d’asseoir un impôt sur le revenu. Ces déclarations pouvaient être fausses, et par suite l’impôt, s’égarer sur des citoyens incapables d’en supporter le fardeau. De plus il fallait éviter ce mécontentement, ce dégoût qui amène si souvent la chute des institutions libres ; or cette fatigue serait devenue générale, si l’on avait senti que ces charges, par elles-mêmes souvent fort lourdes, étaient trop inégalement réparties. On avait donc cherché un moyen de réparer ces erreurs et ces injustices. Un citoyen sur qui tombait une de ces prestations pouvait signaler au magistrat tel de ses voisins qui n’aurait pas été suffisamment imposé, et faire ainsi reporter ce poids sur des épaules plus capables de le soutenir. Toutefois il arrivait que ces réclamations venaient échouer devant les ruses ou les dénégations de celui que l’on mettait en cause. Il était bien difficile en effet, d’évaluer les capitaux engagés dans le commerce et dans les affaires ; pour la valeur même des propriétés, on manquait souvent de bases certaines. L’avare, l’homme de mauvaise foi, parvenait à dissimuler une partie de cette fortune que prétendait atteindre l’impôt des liturgies. L’acte juridique appelé l’échange était destiné à réprimer ces fraudes. Un citoyen, que nous appellerons, si l’on veut, Apollodore, se trouvait plus imposé que tel autre, Nicias par