Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/471

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

législation civile et de la procédure attique ; on peut donc être sûr que Démosthène ne borna point ses études juridiques à la connaissance d’une seule catégorie d’actions. Sans doute ces études n’eurent point le caractère philosophique qu’elles auraient pu prendre à la fin du siècle, quand Aristote eut écrit sa Politique et Théophraste son Traité des lois ; mais pourtant Isée, tout homme de pratique qu’il fût, avait l’esprit assez élevé, assez porté vers les idées générales, pour faire comprendre à son élève les raisons et les liaisons des choses, pour lui donner ces vues d’ensemble qui aident si fort l’intelligence à entrer dans les détails et la mémoire à les retenir. Tous ceux qui ont étudié de près Démosthène ont été frappés de sa science des lois, de l’à-propos avec lequel il les cite, du ferme et judicieux commentaire qu’il en donne ; à cet égard, il n’a d’autre rival que son maître. L’hommage que nous rendons à celui-ci est donc mérité. Ce fut vraiment du temps bien employé que les trois ou quatre années passées par Démosthène, de 366 à 364 ou 363, dans l’intimité et sous la direction d’Isée ; il reçut là un fonds solide d’instruction oratoire et juridique sans lequel il aurait risqué de n’être qu’un vide et brillant parleur, à la façon d’Eschine. C’est un préjugé dangereux et auquel nous sommes trop enclins de croire que le génie peut se passer d’étude ; il coûte cher aux peuples et aux individus. Une fois qu’il s’est répandu, vous ne trouvez personne qui ne s’imagine être assez bien doué pour n’avoir pas besoin de travailler. Ainsi chacun établit pour lui-même le droit à la paresse, et, grâce à cette illusion dont tout le monde est dupe, les plus heureux talens avortent, et tel qui était né médiocre réussit à devenir nul.


II

Depuis le moment où Démosthène avait atteint sa majorité, plus de deux ans s’écoulèrent dans ces lectures et ces travaux. Vers la fin de cette période, Isée, selon toute apparence, ne se contenta point de donner des leçons à son élève, mais il joua plutôt auprès de lui le rôle d’un avocat et d’un conseil, l’aidant à réunir les pièces nécessaires, à les classer, à prévoir les moyens de l’adversaire, à mettre en ordre ses idées et ses raisons.

Ce n’était pas trop d’un pareil secours, car la position de l’ennemi devenait de plus en plus formidable. Aphobos est des trois tuteurs celui qui semble avoir joué dans toute cette affaire le rôle le plus en vue. et le plus odieux. C’était lui qui, dans la pensée du père de Démosthène, devait, en épousant sa veuve, le remplacer auprès de son fils ; or ce fut lui qui donna l’exemple de manquer aux