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morale du patriarche de Constantinople. Or le créateur de cette double puissance, c’est Chrysostome, humilié durant sa vie et victorieux après sa mort. C’est sur les souvenirs de cet épiscopat si agité et si glorieux que s’édifia le trône des archevêques. C’est dans les ouvrages de ce prélat que ses successeurs puisèrent leurs inspirations. S’ils conçurent de grands desseins, à la fois religieux et politiques, Chrysostome leur avait montré la voie à suivre en organisant une propagande active dans la Phénicie, dans la Chersonèse taurique et jusque dans la Perse. La perte d’Antioche et d’Alexandrie, au VIIe siècle, contribua beaucoup à la prépondérance exclusive du patriarche de Constantinople. Ce patriarche unique eut désormais un rôle comparable à celui du grand-prêtre à Jérusalem. L’assimilation est ici d’autant plus exacte que l’on demandait sans cesse à la Bible des maximes d’état.

La paix et la prospérité de l’état byzantin ne purent résulter que de l’accord permanent du patriarche et de l’empereur. Si l’un ou l’autre oubliait cette règle, c’était à son détriment et à sa honte. « Lorsque le vieil Andronic, écrit Montesquieu, fit dire au patriarche qu’il se mêlât des affaires de l’église, et qu’il le laissât gouverner celles de l’empire, — c’est, lui répondit le patriarche, comme si le corps disait à l’âme : Je ne prétends rien de commun avec vous, et je n’ai que faire de votre secours pour exercer mes fonctions. » Telle est la pure doctrine byzantine. Dans ce régime, la pensée directrice revenait à l’empereur, la prière efficace au patriarche, l’action victorieuse à Dieu. Le patriarche était l’intermédiaire nécessaire entre l’empereur et Dieu. Il ne faut pas par conséquent, à propos de Byzance, abuser de ces termes despotisme, théocratie. Une monarchie, ou, si l’on préfère, une autocratie tempérée par l’idée de Dieu, voilà la plus simple et la plus vraie définition que l’on puisse donner du bas-empire.


LUDOVIC DRAPEYRON.