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spirituelle. Toutefois les idées voltairiennes dont il était imbu l’empêchèrent de se mettre dans le courant même de cette histoire, d’en saisir l’économie et la raison. Il était à chaque instant rebuté par ce despotisme formaliste et cérémonieux, par cette dévotion chicanière, par cette diplomatie sans point d’honneur, « par cet héroïsme de la servitude. » Il ne répondit pas d’une manière satisfaisante à cette question : « comment a pris naissance une si bizarre organisation ? » et à celle-ci : « comment cet empire, toujours si chancelant, a-t-il vécu si longtemps ? » mais il sembla démontré que le monde byzantin avait été un monde étrange et presque ridicule.

Il fut de mode jusqu’au milieu du XIXe siècle de se ranger à l’a-. vis de Gibbon. Les ecclésiastiques, habitués à invoquer les conciles, les pères de l’église, réclamaient très justement, mais exclusivement, en faveur des Athanase, des Basile et des Grégoire. Isolant par système l’histoire religieuse de l’histoire civile, retraçant les controverses dogmatiques sans les avoir préalablement replacées dans le milieu social qui les avait produites, ils fatiguèrent le public, ils ne l’instruisirent pas. Soustraire l’histoire byzantine à l’intolérance des libres penseurs et des gens d’église, telle était l’entreprise à tenter. Il fallait séculariser cette histoire, et surtout l’humaniser. Cette tentative ne pouvait être faite que par un laïque qui n’eût pour la théologie ni aversion ni complaisance, qui s’enquît librement des faits de tout ordre et en cherchât le lien.

L’honneur de découvrir le côté humain des annales byzantines était réservé à M. Amédée Thierry. Ce n’est pas le hasard qui depuis longtemps déjà l’a fait aborder à Byzance. Après la publication de son Histoire des Gaulois, sur le point d’entreprendre son Histoire de la Gaule sous la domination romaine, il eut l’heureuse et féconde inspiration de jeter une vue d’ensemble sur l’empire romain. Au lieu de se faire, comme Montesquieu, le contemporain des Cincinnatus et des Caton, il devint celui des Sénèque et des Marc-Aurèle. La conclusion se trouva sensiblement modifiée : ce qui apparaissait à Montesquieu comme une décadence apparut à M. Amédée Thierry comme un développement. Il saisit et décrivit l’évolution nécessaire et salutaire des faits et des idées. Dans son Tableau de l’empire romain, il nous fit assister à la formation de la société romaine, à la marche du monde romain vers l’unité. Quand il eut conduit son Histoire de la Gaule jusqu’à la mort de Théodose, M. Amédée Thierry crut que, pour assurer ses pas ultérieurs, il lui fallait approfondir l’Occident et l’Orient, qui se séparaient à ce moment même. Il jugea également qu’une narration massive, à la façon de Lebeau, produirait fatalement, vu la diversité et l’incohérence des faits, la confusion et