Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/403

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dota la Néerlande de la belle réforme qui consiste dans l’abolition des octrois communaux ; même quand il n’était pas au pouvoir, son influence directe ou indirecte fut toujours très grande. Par exemple, les lois concernant le conseil d’état, la milice, l’instruction primaire, — cette dernière proposée par un ministre conservateur, votée par une majorité considérable, et aujourd’hui tant attaquée pas les réactionnaires de tous les cultes, parce qu’elle a constitué l’école populaire tout à fait en dehors des églises, — ces lois portent les traces évidentes de la part toujours très active qu’il prenait aux discussions politiques. Il avait renoncé à sa chaire de professeur pour se vouer entièrement aux affaires publiques, il y portait cette passion froide qui avait déjà fait la puissance de ses écrits et qui lui valut son autorité comme orateur et législateur. Il avait son genre à lui d’éloquence parlementaire. Il ne brillait ni par les grands mouvemens oratoires ni par les appels aux passions ; c’est tout au plus si, dans la série de ses innombrables discours, on peut relever deux ou trois expressions suggérées par un moment d’indignation ou de colère. Toujours maître de lui-même, sobre de forme, très clair et très précis, il démolissait tranquillement les objections de ses adversaires, et les pulvérisait sous les coups méthodiquement assénés de son érudition administrative. Le statement of facts, comme disent les Anglais, était la partie forte de ses raisonnemens. C’est qu’il ne s’aventurait sur aucun terrain sans l’avoir soigneusement étudié d’avance ; alors, armé de chiffres et de données positives, ramenant les discussions dans le règne du réel et de la pratique, il brisait comme verre les argumens que ses antagonistes cherchaient trop souvent dans le domaine des généralités déclamatoires ou inapplicables. Il faut connaître ce qu’il y a de frondeur, souvent même d’ergoteur, dans le caractère hollandais, pour bien comprendre la force que le genre oratoire de l’ex-professeur de droit lui prêtait dans les débats parlementaires. Il y joignait le talent spécial de se défendre en faisant ressortir, avec une pointe d’ironie, sans qu’on eût le droit de se sentir offensé, l’inconvenance ou l’absurdité des objections qui lui étaient faites. Cela cinglait sans faire saigner et clouait sans qu’on osât crier. On retrouvait bien un peu du professeur morigénant, sans nommer personne, un auditoire d’étudians indisciplinés. Nous citerons un spécimen de cette éloquence sans grand éclat, mais incisive et portant coup ; nous le choisissons au milieu des très vifs débats que souleva dans la première chambre la présentation de la loi électorale. Cette loi, qui pêche bien plutôt par excès de prudence que par trop de concessions au principe démocratique, avait été attaquée de la manière la plus violente. On l’accusait d’ouvrir la porte