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peu enclin à leur donner une large part dans la pratique, et animés d’un esprit tendant à l’oligarchie vis-à-vis des hommes nouveaux, qui penchent vers les institutions démocratiques. Il n’y a chez eux rien qui rappelle nos légitimistes partisans du droit divin, encore moins ceux qui parmi nous ont encore quelque goût pour les anciens privilèges féodaux ; la noblesse dans les Pays-Bas est trop faible par le nombre et la richesse pour aspirer à un rôle quelconque en tant que classe distincte. Il faudrait plutôt voir chez eux les descendans de cette vieille aristocratie bourgeoise, qui fut si puissante aux deux derniers siècles dans la république des Provinces-Unies. Ils se soucieraient peu, par exemple, de voir la direction des affaires confiée à M. Groen et à ses amis ultra-orangistes, ils voudraient seulement que le pouvoir fût toujours refusé au profanum vulgus, qu’il restât aux mains d’hommes depuis longtemps et bien "connus". C’est un parti de gens comme il faut, un peu étroits, se résignant sans trop de peine aux réformes accomplies, finissant même par les trouver excellentes, mais qui bataillent régulièrement aussi longtemps qu’ils le peuvent contre l’introduction de ces réformes, et qui, au pouvoir, sont toujours plus disposés à maintenir qu’à changer. On trouve, ou l’on trouvait, des partis conservateurs du même genre dans les vieilles républiques, à Genève par exemple, à Bâle, à Francfort, à Hambourg, partout où une riche bourgeoisie a exercé de père en fils les fonctions gouvernementales. Le système en vigueur sous Guillaume Ier avait nécessairement renforcé l’influence politique de ce parti, diminué et transformé par la révolution ; c’est lui, plus encore que M. Groen et les siens, qui ne pouvaient lui servir que d’appoint, c’est ce parti qui fut en réalité l’adversaire le plus redoutable de Thorbecke. L’indifférence politique où tombe trop souvent la Hollande, l’inertie qui en résulte dans la masse du corps électoral, tel fut le second ennemi qu’il eut à vaincre.

Thorbecke persévéra. Toujours avec la même froideur tenace, mais avec la force qu’il devait à l’énergie de ses convictions, il ne cessa de signaler les vices qui tenaient bien moins aux hommes qu’aux institutions. L’opinion, un moment désorientée, revint du côté des réformes, et c’est au point qu’en 1847 le roi jugea prudent d’annoncer aux chambres qu’on allait enfin leur soumettre un projet sérieux de révision constitutionnelle. Il est à présumer que cette révision n’eût pas encore satisfait les libéraux, lorsqu’un de ces coups de tonnerre qui éclatent le plus souvent dans notre France, mais qui retentissent bien loin de ses frontières, vint secouer toutes les indolences et forcer les peureux eux-mêmes à se mettre du côté des audacieux. La tempête démocratique de 1848 se déchaîna dans les rues de Paris, et peu de temps après l’Alle-