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des mains plus jeunes que les miennes et moins liées par le passé. Il quitta la Hollande, se rendit en Prusse, et l’année d’après, n’ayant plus d’opinion publique à ménager, il épousa la comtesse d’Oultremont. Les deux époux ne vécurent pas longtemps ensemble ; le 12 décembre 1843, Guillaume Ier mourut à Berlin à l’âge de soixante et onze ans.

Ce prince a laissé aux méditations des hommes politiques l’un des exemples les plus frappans de l’impuissance finale réservée fatalement de nos jours à ce pouvoir personnel que des ignorans ou des calculateurs intéressés invoquent encore parfois comme le seul remède efficace aux maux des révolutions. Il n’est pas possible d’être plus populaire que ne le fut Guillaume Ier, d’être arrivé au trône par des voies plus légitimes et avec un consentement plus unanime, d’avoir gouverné avec des intentions plus correctes et, prises en elles-mêmes, plus libérales ; il n’est pas de peuple en Europe qui professe plus d’attachement que le peuple hollandais pour sa maison souveraine, ou qui supporte plus patiemment des institutions défectueuses, à la condition de certains ménagemens, qui furent observés pendant tout le temps du règne. On ne peut attribuer l’événement de 1840 ni à un péché originel de la nouvelle royauté, ni à des abus de pouvoir exorbitans, ni à l’humeur capricieuse de la population, et pourtant le vieux roi se vit réduit à quitter au milieu de l’indifférence générale un pays où il avait été reçu avec le plus vif enthousiasme, un pays qui avait vécu, au moins quinze ans, de sa confiance en lui, et tout son système s’en allait dans la berline qui l’emportait en Prusse. Tel est le plus grand enseignement que nous fournisse le règne de Guillaume Ier, roi des Pays-Bas.


II.

Le 28 novembre 1840, le prince d’Orange succédait donc à son père sous le nom de Guillaume II. C’était un prince personnellement très aimable, chevaleresque, grand ami des arts et des artistes, à qui l’on reprochait seulement une forte propension à la dépense, — côté par lequel il différait de son père, très économe de ses deniers, — et son arrivée au trône fut saluée par d’unanimes sympathies. Cependant on ne savait trop quelle ligne de conduite il suivrait en politique. Général résolu et fort capable, sa conduite aux Quatre-Bras la veille de Waterloo, sa campagne en Belgique, l’avaient fait monter très haut dans l’opinion comme chef d’armée ; mais ce n’était pas d’un militaire que la Néerlande avait besoin, c’était d’un roi habile et sage. Or Guillaume II, éloigné plus ou moins volontairement des affaires depuis les événemens de 1830, n’avait jamais donné la mesure de sa capacité politique. Lui-même sentait