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trie ; le démembrement accompli, il n’y avait plus de raison pour se taire. D’ailleurs les faits n’avaient-ils pas prouvé que l’insurrection belge avait puisé une grande partie de sa puissance dans ces lacunes et ces imperfections elles-mêmes ? Mais, pour saisir nettement le rôle toujours plus essentiel de Thorbecke en tant que réformateur politique, il faut se rendre un compte clair de l’état constitutionnel de la Néerlande à partir de la restauration.

En 1813, au lendemain de la bataille de Leipzig, et quand on vit les aigles impériales se replier sur le Rhin, le peuple néerlandais s’insurgea comme un seul homme contre la domination française. C’était justice ; le jour de Némésis était venu. Là comme ailleurs, l’empire subissait le châtiment des violences qu’il avait commises contre le bon droit des peuples libres. Le soulèvement du peuple hollandais, en ouvrant à la coalition les frontières septentrionales du territoire français, contribua pour une large part à la chute du colosse. Ce n’était pas seulement contra la France impériale que la Néerlande s’était insurgée ; toutes les conséquences de la révolution se trouvaient également compromises. Le retour de l’indépendance s’associait dans une foule d’esprits au rétablissement des anciennes institutions, et particulièrement à celui de la famille stathoudérienne, exilée depuis 1795. Lorsque le prince d’Orange, rappelé par le vœu populaire, débarqua au pied des dunes de Scheveningue, il se vit par le fait en possession d’un pouvoir pour ainsi dire absolu, tel du moins qu’aucun de ses glorieux ancêtres ne l’avait jamais possédé au même degré.

Heureusement pour la Néerlande, les promoteurs de la restauration n’étaient pas des réactionnaires aveugles, et le prince d’Orange était un homme d’une réelle supériorité ; les leçons de l’exil lui avaient profité. Il connaissait trop bien le peuple néerlandais pour s’imaginer que l’établissement d’un régime absolutiste fût durable. La Néerlande devait à la révolution d’être devenue un royaume au lieu d’une république confédérée ; mais il était clair que les traditions républicaines étaient toujours vivaces, que, la passion de l’indépendance nationale une fois satisfaite, on verrait revenir le vieil antagonisme de la bourgeoisie et de la maison stathoudérienne, qui avait été si fatal à la nation tout entière, qu’en un mot la plus simple prudence commandait de ne pas recommencer les erremens du passé. En définitive, rien dans les traditions de sa maison ne pouvait indisposer le prince contre un régime constitutionnel analogue à celui dont Louis XVIII lui-même reconnaissait la nécessité en France ; il avait même, pour l’établir, bien d’autres précédens que la maison des Bourbon. Pourquoi n’eût-il pas fait en Hollande ce que l’un de ses plus illustres prédécesseurs avait fait en Angleterre ? Ce fut donc en toute sincérité qu’à l’offre qui