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prisonniers de la Conciergerie ; quant à lui, il n’en demeura pas moins, malgré tout, simple employé comme devant. Pour se dédommager de sa déconvenue, Tobiezen-Duby ne manqua pas, il est vrai, d’injurier dans d’igunbles pamphlets la « vertueuse citoyenne » dont il avait en vain recherché la protection, et qui maintenant n’était plus pour lui que « la femme Roland ; » mais la succession de Joly et même celle de Joly fils, sur laquelle Tobiezen-Duby s’était rabattu en désespoir de cause, furent recueillies par d’autres mains que les siennes. Voila en somme à quels résultats tous ses efforts avaient abouti, et, pour comble d’infortune, l’héritier qu’on lui préférait appartenait comme lui à la classe des employés inférieurs de la Bibliothèque, sans se recommander d’ailleurs par des aptitudes personnelles beaucoup plus remarquables, ni par de plus brillans états de service.

Le nouveau garde toutefois avait sur son compétiteur évincé l’avantage d’être un honnête homme. Si, pendant les trente mois à peu près que dura la gestion de Bounieu, le successeur de Joly, on ne trouve à relever aucun progrès notable, aucune tentative même digne d’être mentionnée, on ne peut non plus y découvrir l’indice d’une témérité ou d’une négligence quelconque dans l’administration et dans la surveillance du dépôt « confié par la nation. » Le soin scrupuleux au contraire avec lequel Bounieu inscrit sur son registre, jour par jour et presque heure par heure, jusqu’aux moindres incidens qui se produisent, jusqu’à la plus minime dépense qu’exigent les besoins du département, — d’autres témoignages matériels encore attestent chez lui, à défaut des hautes qualités de l’intelligence, beaucoup de bon vouloir et de bonne foi. A peine pourrait-on lui reprocher le naïf mouvement d’amour-propre qui le porte, aussitôt qu’il est entré en fonctions, à faire rechercher et acquérir pour en composer son œuvre une douzaine de mauvaises estampes en manière noire d’après ses propres tableaux : à cela près, tout, pendant ces deux ans et demi de direction négative ou, si l’on veut, d’interrègne, se borna fort heureusement au maintien des choses, telles que l’ancien régime les avait établies. Jusqu’aux ornemens et aux emblèmes réputés ailleurs séditieux, jusqu’à ces reliures aux armes que dans d’autres collections publiques on avait commencé. de détruire avant qu’un décret de la convention défendît « de mutiler les livres imprimés ou manuscrits sous prétexte de faire disparaître les signes de la royauté ou de la féodalité[1], » — tout fut préservé, tout demeura dans son état normal et à sa place. Aussi lorsqu’en 1795 Joly fils, par une sorte

  1. Loi du 24 octobre 1793.