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maîtres, si on les avait isolées des travaux dus aux mêmes mains et signés des mêmes noms.

Parmi les portefeuilles ou les volumes que Bégon cédait au roi, plus d’un néanmoins contenait autre chose que des planches gravées par des artistes français d’après les tableaux de leurs compatriotes. C’est ainsi que, par le fait même de cette cession, la Bibliothèque s’enrichissait d’une bien précieuse suite de dessins « tirés par les soins de M. de Nointel, ambassadeur du roi à la Porte, d’après les bas-reliefs du temple de Minerve, à Athènes, dans le temps que ce temple, renversé depuis par une bombe des Vénitiens, était encore dans son entier[1] : » recueil inestimable non pas, tant s’en faut, à cause de l’habileté du dessinateur employé par M. de Nointel, mais en raison des renseignemens qu’on ne trouverait nulle part ailleurs sur certaines figures ou certains groupes aujourd’hui anéantis et sur la disposition architectonique des sculptures qui décoraient le Parthénon avant que ce chef-d’œuvre fut ruiné au XVIIe siècle par la guerre, au XIXe par ce que Byron a justement appelé un acte de « rapacité sacrilège[2]. »

Si exceptionnelle qu’en fût l’importance, le don de ces dessins n’était pas d’ailleurs le premier que le cabinet des estampes eût reçu dans l’ordre des raretés archéologiques, le seul dont pussent profiter dès cette époque les artistes ou les amateurs spécialement voués à l’étude de l’antiquité. Depuis plusieurs années déjà, la libéralité du comte de Caylus avait assuré à la Bibliothèque la possession d’un grand nombre d’objets précieux. Tandis que le cabinet des médailles héritait en 1765 de la plupart des monumens que le savant antiquaire avait réunis dans sa riche collection, le cabinet des estampes, outre beaucoup de pièces isolées, recevait du même bienfaiteur certains beaux recueils formés ou acquis par lui. Les dessins d’après les sculptures du Parthénon entrés au cabinet des estampes avec l’ensemble de la collection Bégon s’ajoutaient donc en réalité à plus d’un document de même espèce. Si le moment n’était pas arrivé encore où le goût de quelques-uns pour l’art antique deviendrait, sous l’influence de David, une passion générale et presque une religion d’état, si, vers la fin du règne de Louis XV, les occasions d’étudier les exemples grecs ou romains ne laissaient pas, à la Bibliothèque comme ailleurs, de demeurer assez rares, ces

  1. Tels sont les termes d’une note manuscrite en tête du volume dans lequel ces dessins sont conservés. — Le marquis de Nointel remplit les fonctions d’ambassadeur du roi de France près la Porte de 1670 à 1678. On sait que la dévastation du Parthénon par les troupes vénitiennes que commandait le comte de Kœnigsmark eut lieu en 1687.
  2. Les spoliations auxquelles lord Elgin a eu le malheur d’attacher son nom ont été commises en 1814.