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l’aïeul de celui qui devait un jour transmettre à la Bibliothèque ces mêmes « belles choses, » devenues successivement la propriété de son père et la sienne[1]. Pendant vingt années encore, le premier possesseur de ce cabinet s’occupa sans relâche d’en augmenter les richesses, et après lui son fils et son petit-fils s’y étaient à leur tour si bien appliqués que, suivant l’état dressé au mois de mars 1770, Michel Bégon se trouvait en mesure de « transporter à la Bibliothèque du roi 24,746 pièces, dans le cas où sa majesté agréerait l’offre qu’il lui avait fait faire » par l’intermédiaire du comte de Saint-Florentin, et surtout à l’instigation de Joly. Le roi, bien entendu, n’eut garde de refuser ; mais, pour sauver les apparences et pour procéder comme on avait agi déjà dans des circonstances à peu près pareilles, il voulut qu’une pension annuelle de 2,000 livres fût, aux termes d’un brevet en date du 4 mai 1770, a accordée audit sieur Bégon non à titre de paiement de sa collection, mais comme une récompense due au mérite et à la vertu. »

Les 25,000 pièces à peu près provenant de la collection Bégon n’ont pas été, comme les estampes qui avaient appartenu à Lallemant de Betz et à Fontette, conservées à la Bibliothèque dans leur ordre primitif, c’est-à-dire à l’état de série une fois constituée et formant un tout par elle-même. Distribuées aujourd’hui dans les œuvres des différens maîtres, elles sont reconnaissables encore à l’estampille que porte chacune d’elles et qui reproduit les trois premières lettres du nom du donateur ; mais, sauf ce certificat d’origine, rien ne les signale à l’attention plus particulièrement que les gravures au milieu desquelles on les a introduites. Qui pourrait regretter d’ailleurs cette répartition de la collection Bégon dans les divers recueils dont se compose la collection générale ? Les pièces qu’avait réunies Bégon, aussi bien que celles qui appartenaient autrefois à Béringhen, intéressent surtout notre école et l’histoire des talens qui l’ont honorée. Rapprochées des autres témoignages de ces talens en raison des lacunes qu’il s’agissait de combler, elles ont ainsi complété ou utilement accru l’œuvre de chaque peintre, de chaque graveur, tandis qu’elles seraient restées à peu près perdues pour une étude suivie comme à peu près stériles pour la gloire des

  1. Ce premier des Bégon, intendant de la marine à Rochefort, comme son fils le fut plus tard au Havre et son petit-fils à Dunkerque, ne consacrait pas seulement à la recherche des belles estampes les loisirs que lui laissaient ses fonctions. Il travaillait tout aussi activement à rassembler des médailles, des spécimens botaniques ou minéralogiques, bien d’autres curiosités encore, à ce point même que les événemens les moins propres en apparence à entretenir sa manie devenaient pour lui des occasions de la contenter. « Une femme, écrivait-il en 1695, étant accouchée d’une fille à deux têtes, je l’ai fait apporter ici et accommoder de manière qu’elle se conservera longtemps. J’en ai fait faire une figure de cire très ressemblante à l’original. » C’était, on en conviendra, pousser loin l’impartialité scientifique et le zèle pour toutes les raretés.