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l’étude du grec resterait une étude de libre choix ; pour les autres, elle cesserait d’être obligatoire.

On s’insurge d’ailleurs bien à tort contre l’hypothèse du grec facultatif, comme si c’était un état de choses bien différent de celui qui existe aujourd’hui. Est-ce que de fait le grec n’est pas facultatif ? Est-ce que chez l’immense majorité des élèves il est autre chose qu’un exercice matériel, ne laissant aucune trace et ne portant aucun fruit ? Est-ce que les examens ne témoignent pas de l’absolue inefficacité de l’enseignement grec ? On fait valoir que les élèves paresseux ne sauront jamais rien, de quelque manière qu’on s’y prenne et quelque chose qu’on leur retranche. Je réponds : il n’y a pas seulement les élèves paresseux, il y a encore un grand nombre de bons esprits, lents et médiocres, qui sont accablés par le nombre de choses à apprendre, et qui tireraient peut-être meilleur parti d’un enseignement plus restreint. Les paresseux eux-mêmes ne le sont pas absolument : ils finissent toujours par apprendre quelque chose ; si donc à la place d’un enseignement rudimentaire de grec, où ils ne peuvent jamais aller assez loin pour qu’il leur soit vraiment profitable, on leur fait apprendre un peu plus de latin qu’auparavant, ce sera tout bénéfice. Soit un élève qui apprend passablement le latin et faiblement le grec, c’est bien là le cas de la moyenne ; — supprimez le grec, il est évident qu’au lieu de passable il deviendra bon ou assez bon en latin. Supposez même que sa force en latin reste la même, mais qu’il apprenne une langue vivante : cette langue vivante lui sera plus utile que le grec informe où il s’est consumé. Des rudimens d’allemand ou d’anglais peuvent toujours être utiles, car on peut perfectionner ce qu’on a appris ; au contraire celui qui sort du lycée avec des rudimens de grec n’en tirera plus aucun parti.

De très bons esprits ne seraient pas éloignés d’admettre que l’une des deux langues anciennes fût facultative ; mais, comme langue obligatoire, ils préféreraient le grec au latin. Les deux raisons principales de ce choix, c’est que la langue grecque est la plus belle et la plus riche qui ait existé, et surtout que la littérature grecque offre des ressources incomparables, infiniment plus variées que celles de la littérature latine. Ce système peut très bien se soutenir ; on pourrait même laisser le choix entre les deux langues[1]. Cependant cette préférence très légitime pour le grec est plutôt justifiable au point de vue esthétique et scientifique qu’au point de vue pratique. Il y a quelque chose d’étrange à supposer que

  1. Toutes ces hypothèses, bien entendu, soulèvent de grandes difficultés pratiques dans l’organisation actuelle de nos lycées ; mais nous les étudions ici au point purement théorique.