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puisse ensuite enseigner dans cette langue même. Pour obtenir un tel résultat, il faut que, dans les classes élémentaires, les langues vivantes prennent la place du latin et occupent par conséquent la moitié du temps total. C’est un temps que l’on retrouvera plus tard avec bénéfice.

Il est une seconde raison qui justifierait à nos yeux l’ajournement du latin en sixième. L’enseignement élémentaire dans nos collèges n’est autre chose, à vrai dire, que l’enseignement primaire ; les enfans qui suivent ces classes n’en savent pas beaucoup plus, et souvent même en savent moins que ceux des écoles primaires. Or une forte instruction primaire doit être la base d’une solide instruction littéraire ; la culture de l’esprit n’est possible qu’à la condition d’une instruction pratique antérieure. Orthographe, calcul, notions élémentaires d’histoire sainte et d’histoire de France, géographie, telles sont les matières indispensables de toute instruction primaire ; mais ces matières ne peuvent s’introduire dans l’esprit et y subsister que par des exercices très fréquens, ce qui est impossible, si vous commencez tout de suite par les occuper au latin, lequel, dans nos traditions universitaires, devient bien vite le principal et même le tout, aussitôt qu’il apparaît. Je ne m’insurge point contre ce fait, au contraire je persiste à croire que le latin doit rester le principal dans nos études ; c’est précisément à cause de cela que je voudrais ne le voir paraître que lorsqu’il ne ferait plus concurrence à une instruction élémentaire indispensable et qui n’est pas encore solidement établie.

Ne serait-il pas possible cependant qu’en ajournant le latin en sixième on affaiblît nos études, et en particulier les études classiques, qui sont et doivent rester la base de notre éducation nationale ? Le ministre a eu cette crainte, et il a hésité devant une mesure qui lui était, dit-il, demandée de différens côtés ; il n’a pas voulu porter une trop grave atteinte à l’économie du système universitaire. Nous pensons que ces craintes sont exagérées. D’un côté, un retard de deux ans imposé aux études latines sera amplement compensé par un surcroît de maturité chez les enfans. Deux ans de plus ont une valeur inappréciable. A douze ans, les enfans ont une plus grande force d’attention qu’à dix ans ; ils ont une compréhension plus exercée et doivent comprendre plus vite les choses difficiles. On a souvent constaté que les élèves qui commencent les sciences trop tôt sont inférieurs à ceux qui les commencent plus tard après de bonnes études littéraires, et c’est ce fait surtout qui a décidé de la chute de la bifurcation : c’est la force de l’esprit beaucoup plus que le temps qui importe ici. On peut donc admettre avec certitude qu’une année de latin commencée à douze ans pourra facilement en valoir deux à partir de dix, Ajoutez à cela que, les