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question préjudicielle n’aura pas été vidée, la confusion régnera dans les partis, et ce grand duel des conservateurs avec les réformateurs, cet éternel procès qui fait la vie des pays libres, ne pourra pas se plaider faute de juges.

Puisque l’on a hâte de rentrer dans l’état normal et d’écarter tout mélange, il n’y a qu’une chose à faire : il faut organiser la république. Si l’on y cherche une panacée contre telle ou telle doctrine ou un instrument favorable à telle ou telle politique, assurément on ne l’y trouvera pas ; la république en elle-même n’assurera le monopole du pouvoir à aucune opinion particulière. Il ne faut y chercher que le cadre légal dans lequel tous les partis seront appelés à se mouvoir et à se combattre librement. Les institutions politiques, surtout chez une nation divisée comme la nôtre, ressemblent aux règles d’un tournoi, que les adversaires appelés à lutter l’un contre l’autre doivent fixer d’un commun accord, pour n’en pas méconnaître l’autorité. Il importe donc à tout le monde que tout le monde apporte son concours à l’établissement de la république. L’unanimité des résolutions peut seule donner à nos institutions futures l’autorité nécessaire à la défense des intérêts conservateurs et à la sécurité de l’ordre social.


III

L’intérêt des conservateurs à soutenir le gouvernement actuel est d’une telle évidence que l’on s’étonne de le voir méconnaître. Si l’assemblée nationale avait fondé la république dès l’année dernière, l’influence des conservateurs serait aujourd’hui bien plus grande. Ils seraient restés les conseillers naturels du gouvernement, les arbitres incontestés de l’opinion publique. Leur autorité se serait accrue par leurs concessions mêmes. Quoiqu’il soit bien tard pour changer de route, elle ne peut encore que s’amoindrir par des hésitations et par des résistances nouvelles.

Les républicains, il faut l’avouer, ceux du moins de l’opinion radicale, ont un bien moindre intérêt à agir de même, s’ils ne considèrent que leur influence personnelle et le succès de leur parti. L’an dernier, pour sauver la république menacée par les royalistes, ils auraient volontiers consenti à la recevoir des mains de l’assemblée actuelle ; mais aujourd’hui les fautes des conservateurs ont mis la majorité dans leurs mains. Ils n’ont plus rien à redouter pour la république elle-même, et beaucoup d’entre eux conçoivent même l’espérance d’arriver directement au pouvoir. Ils n’ont donc plus besoin que le gouvernement les protège ; ils peuvent attendre sans inquiétude l’époque des élections futures, et