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trouvent être une préparation éminemment propre aux temps où nous nous trouvons. Les anciens en effet ont connu toutes les péripéties de la vie politique dans laquelle nous sommes encore si novices. Ils ont connu les crises de la guerre étrangère, de la guerre civile, de la guerre sociale ; ils ont connu les luttes de la démocratie, de l’oligarchie, de la tyrannie, les révolutions et les réactions ; leurs livres sont plus vivans pour nous que les livres modernes. Démosthène et Cicéron sont plus près de nous que Bossuet ; Platon et Aristote en savent plus sur nos affaires que Montesquieu lui-même et Jean-Jacques Rousseau ; Tacite hier encore était un livre d’opposition. C’est cette mine de richesse qu’il faut ouvrir à nos écoliers ; on peut supposer qu’ils prendront plus de goût à l’étude quand ils auront une familiarité plus grande avec les textes eux-mêmes, quand ils seront arrivés à expliquer à livre ouvert, ou même à comprendre des yeux, sans avoir besoin de les expliquer, les chefs-d’œuvre des anciens[1]

Bien entendu, M. Jules Simon n’a pas osé appliquer jusqu’au bout cette rigoureuse réforme. Entre les exercices latins, il n’a pas touché au plus important de tous, à celui qui est le couronnement de nos exercices scolaires, à savoir le discours latin. C’est avec raison que le ministre s’est arrêté devant cette réforme prématurée, même inutile, espérons-le, si l’expérience tentée suffit et réussit ; mais à quoi reconnaîtra-t-on que cette expérience aura réussi ? Le voici. Il y a trois conditions de succès. Il faut d’abord que l’on s’assure que l’enseignement des langues vivantes est efficace, et que les élèves apprennent réellement soit à parler[2], soit à lire et à écrire dans une de ces langues ; — en second lieu, il faut qu’il soit constaté que les enfans lisent le latin aussi facilement et même plus facilement qu’autrefois, — en troisième lieu enfin que les exercices d’imagination ou de style que l’on fera en français ne soient en rien inférieurs à ceux que l’on faisait en latin. Ces trois expériences peuvent être faites en peu d’années. Des inspections ad hoc peuvent être organisées pour s’assurer des résultats obtenus : or il nous semble qu’il n’y a réellement aucune raison pour que ces expériences ne réussissent pas, et, si elles réusissaient, de quoi se plaindrait-on ? Quel inconvénient y aurait-il à bien savoir une langue vivante, si l’on arrive à savoir aussi bien le latin, et

  1. Pour éviter tout malentendu, disons qu’il y aura deux sortes d’explications dans les clauses, — les unes très approfondies et où l’on mettra beaucoup de temps à expliquer très peu de lignes, — les autres au contraire très rapides et très étendues, et qui auront pour but d’exercer à la lecture et à la prompte intelligence des textes.
  2. Beaucoup de bons esprits doutent que dans des classes nombreuses, comme elles le sont nécessairement, on puisse arriver réellement à parler les langues vivantes. Peu importe. Si on ne parvient pas à les parler, ce sera déjà beaucoup que de parvenir à les comprendre et à s’en servir la plume à la main.