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les savans ; enfin, depuis la chute de l’antiquité latine jusqu’à nos jours, on a continué sans interruption à parler latin dans les écoles. Les compositions latines n’étaient donc pas alors des exercices purement artificiels ; on s’exerçait au latin comme à une langue vivante, au moins dans un ordre spécial d’études. Or les institutions durent toujours beaucoup plus longtemps que les faits qui leur ont donné naissance. Il n’est pas extraordinaire que l’habitude ait maintenu ce que l’utilité et une tradition remontant jusqu’à Rome même avaient suscité ; mais, aujourd’hui que des nécessités nouvelles nous forcent de faire du jour dans nos études, le moment n’était-il pas venu de se demander si les exercices latins répondent encore à un besoin réel et sérieux ? Si l’on ne parle plus latin nulle part, si l’on n’écrit plus en latin ni dans les lettres, ni dans les sciences, sauf de rares exceptions, toutes les études doivent-elles converger vers ce point culminant et dominateur : un chef-d’œuvre juvénile de latinité oratoire ? Si l’on doit apprendre le latin, non pour l’écrire, ni pour le parler, mais pour le lire, les exercices de lecture ne doivent-ils pas l’emporter sur les exercices de composition ? Les jeunes gens, au moins pour la grande majorité d’entre eux, ne devront-ils pas être exercés à lire plutôt qu’à écrire, et n’apprendront-ils pas à lire plus sûrement et plus rapidement en lisant, c’est-à-dire en expliquant beaucoup, qu’en composant péniblement dans des exercices qui demandent un temps infini pour y être même médiocrement habile ?

N’oublions pas notre point de départ : il s’agit de faire une place aux langues vivantes. Cette place, on espère la trouver au moyen d’un sacrifice, moindre peut-être en réalité qu’en apparence, mais qui enfin est nécessaire, à moins qu’on n’en propose un autre : c’est de sacrifier l’art d’écrire en latin, au moins pour la majorité des élèves, comme on a sacrifié depuis un siècle l’art, autrefois si cultivé, de parler latin. Dans ce système, si on le supposait absolument appliqué, tous les exercices d’invention, d’imagination, de style, se feraient en français ; les langues anciennes seraient exclusivement des exercices de lecture. Le but serait de faire lire les anciens, de rendre accessibles à tous ces grands modèles littéraires, répertoire inépuisable de vérités morales et philosophiques et de faits sociaux d’un si vif intérêt pour nous, qui nous trouvons dans des conditions de société si analogues à celles que l’antiquité a connues. On répète sans cesse que l’on élève les jeunes gens dans l’étude et l’admiration des sociétés antiques, qui n’ont rien de commun avec les nôtres. Ceux qui parlent ainsi prouvent bien qu’ils ne connaissent guère les écrivains anciens, et aussi qu’on ne les leur a guère fait connaître. C’est au contraire une circonstance très favorable à l’étude des lettres anciennes. que les monumens de l’antiquité se