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les peuples ne sont pas représentés à Berlin, et que tous, sauf une parie de la nation allemande, considèrent avec défiance ces négociations accomplies au milieu des parades et des démonstrations militaires. »


Il n’y a donc rien d’inquiétant ni pour nous ni pour l’Europe dans l’entrevue, de Berlin ; il n’y a rien de rassurant non plus ni pour l’Europe ni pour nous, car nul ne peut répondre, malgré tant de promesses de paix, que l’état actuel de l’Europe présente des conditions de durée. La seule chose à dire, c’est que pour les états les plus menacés, l’Autriche et la France, le plus grand péril n’est pas au dehors, le plus grand péril est au dedans. Le péril de l’Autriche, on l’a vu, c’est ce dualisme allemand-hongrois qui détruit l’idée de la grande association autrichienne, qui tient 16 millions de Slaves en dehors du droit politique, qui peut les pousser au désespoir et disloquer l’empire. Le péril de la France, c’est l’incertitude de nos destinées et la menace croissante du radicalisme.

Il est évident qu’on a dû souvent parler de la France au congrès de Berlin. Dans quel sens ? On le devine. L’empereur de Russie et l’empereur d’Autriche n’ont certainement dissimulé ni leurs sympathies ni leurs appréhensions. Lorsque l’ambassadeur de France à Berlin, accompagné du personnel de l’ambassade, est allé présenter ses hommages à l’empereur Alexandre II, l’empereur a exprimé des sentimens qui peuvent se résumer en ces termes : « Je ne serais pas venu à Berlin si on avait dû y prendre des résolutions hostiles à la France. Nous faisons des vœux pour que la France se relève ; mais si elle se perd elle-même, si elle s’abandonne aux passions subversives, si elle tombe aux mains du radicalisme, notre bienveillance sera paralysée ; nous ne pourrons plus qu’assister aux événemens. » Assister aux événemens, c’est laisser passer la justice de Dieu, quelles que soient les mains à qui sera remis le glaive. Et plus viles seraient les mains, plus cruel serait le châtiment. L’empereur d’Autriche avait bien des raisons pour ne pas tenir un pareil langage. Si menacé lui-même, en proie à des difficultés bien différentes des nôtres, mais également terribles, il n’a pu parler d’une façon aussi précise ; comment douter cependant qu’il ait partagé cette manière de voir ? C’est le mot de la situation pour l’Autriche comme pour la Russie : nous ne pourrons qu’assister aux événemens.

Faisons donc en sorte que les événemens tournent à notre honneur et concourent au relèvement de la France. Si critique que soit la situation, il dépend encore de nous de prévenir toutes les catastrophes. Que les honnêtes gens ne renoncent pas à se défendre, que l’abstention soit flétrie comme une trahison, que l’assemblée nationale veille au salut de tous. Il ne faut pas voir les