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cette page est un des plus sérieux organes de la presse politique en Autriche. Voilà certes un exposé assez clair. Les raisons qui devaient écarter tout rapprochement entre la sainte-alliance et le congrès impérial de Berlin sont aussi nombreuses que décisives. Il est évident que, si les empereurs de Russie, d’Autriche et d’Allemagne se sont réunis en 1872, ce n’est pas pour préparer quoi que ce soit d’analogue à ce que leurs prédécesseurs ont fait en 1815. N’importe ; on publia tout, les souvenirs de Sadowa s’effacèrent un instant devant les souvenirs de Leipzig, bien des gens furent persuadés qu’une nouvelle sainte-alliance allait prétendre au gouvernement de l’Europe. L’ardeur même avec laquelle une partie de la presse allemande rejetait ces conjectures indiquait assez combien l’image subitement évoquée avait obsédé les intelligences.

Quand on s’aperçut pourtant que cette manière de voir était inadmissible, on essaya de deviner quel était le but du congrès. Les imaginations avaient beau jeu pour se donner carrière. La situation de l’Europe est telle qu’un événement comme celui-là devait faire travailler tous les esprits. Chacun jugeait la chose suivant son intérêt, chacun aimait à se persuader qu’il y avait là quelque combinaison profitable à sa cause. En un mot, c’était une occasion pour tous les partis de manifester leurs espérances ou leurs craintes. Étudiées à ce point de vue, les explications de la presse allemande offrent un caractère instructif. Quand nous parcourions, au moment de l’entrevue, les principaux journaux de l’Allemagne, ceux-là surtout qui, se préoccupant des idées générales, s’appliquent à chercher la philosophie des faits, il nous semblait voir se dérouler sous nos yeux un tableau de l’Europe centrale et des questions qui l’agitent. Ce sont les traits les plus importans de ce tableau que nous voudrions rassembler ici ; nous nous occupons beaucoup moins de l’entrevue elle-même que des appréciations dont elle a été l’objet et des conjectures qu’elle a fait naître. Le point de départ de notre sujet est à Berlin ; le sujet même est plutôt à Leipzig et à Francfort, à Munich et à Vienne, à Prague et à Pesth. Comment savoir avec une parfaite exactitude ce qui s’est passé entre les trois monarques et même entre leurs ministres ? Il est clair qu’il faut y renoncer. Nous y renonçons sans trop de peine, ayant en vue une étude toute différente. Que les renseignemens donnés par la presse allemande soient plus ou moins dignes de foi, ce n’est pas là notre principal souci ; nous ne cherchons pas de nouvelles, nous voulons seulement profiter de ces rumeurs, de ces conjectures en divers sens, de ces explications contradictoires pour en faire jaillir quelque lumière sur la situation présente de l’Europe.