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stricte y apprendront par l’exemple de Mærklin que, s’il y a illusion ou erreur de la part des novateurs, il y aurait injustice à leur refuser les lumières, l’esprit d’investigation et de méthode, la droiture de cœur ; ils cesseront d’attribuer à des motifs bas et vils des divergences fondées sur une réflexion mûrie et amenées par la très honorable intention de concilier la vérité religieuse avec l’histoire, avec la science des corps et avec celle des esprits, enfin avec les principes logiques qui gouvernent la raison. Ceux du parti opposé apprendront à quel prix on acquiert le droit de formuler une affirmation quelconque en ces sujets. La parfaite connaissance des textes originaux y est à peine suffisante ; la connaissance des langues, celle de l’histoire des sociétés et des religions antiques, la familiarité avec les spéculations philosophiques, sont indispensables. Ce n’est point assez ; il faut y joindre le tact, qui est le signe d’une culture large, et la délicatesse, qui sait ménager les scrupules. Il faut encore demander aux partisans de la libre pensée qu’ils élaguent tout ce qui dans ces questions serait affirmé en vue de choses étrangères, dans l’intérêt de certaines doctrines politiques, sociales ou économiques, et qu’ils n’hésitent pas à signaler, en de tels procédés, une pure et simple falsification. Mæklin, nous dit le biographe, ne souffrait pas moins de l’intolérance des orthodoxes que des légèretés et des inconvenances de leurs contradicteurs. Il déplorait amèrement les imprudences par lesquelles on compromettait la libre pensée ; il gémissait de la voir accablée par les lourds pavés que lui jetaient ses amis. « Notre manière de penser, disait-il, doit avoir la force, après s’être fixée dans le domaine intellectuel, de se montrer vivante aussi dans celui du sentiment et de la volonté. Nous n’aurons gagné notre cause que lorsqu’on verra chez ceux qui partagent nos convictions une haute et solide moralité ; aussi longtemps que notre philosophie ne sera pas devenue chez ses adhérens une puissance efficace, elle n’aura aucun droit à faire sentir son action dans le cours des événemens et dans la marche historique de l’humanité : le gouvernement du monde appartiendra encore aux vieilles doctrines. »

Il se dégage de ce livre une pensée de tolérance largement comprise ; le traducteur a droit à des remercîmens pour le goût dont il a fait preuve dans le choix des fragmens, comme pour sa traduction claire et facile.


A. BÉRANGER.

Le directeur-gérant, C. BULOZ.